Pas toujours facile de marcher dans les pas des autres tout en essayant de tracer sa propre voie. C’est ce que Malcolm Washington apprend à ses dépens avec The Piano Lesson, sa première réalisation et largement son premier grand saut officiel dans le septième art, une proposition qui, malgré les éléments réunis, peine à convaincre.
D’emblée, il semble s’agir de l’adaptation cinématographique rien de plus classique d’une pièce de théâtre, soit celle de August Wilson, lauréate du prix Pulitzer en 1990. D’ailleurs, quatre des acteurs de la mouture de 2022, à Broadway, y reprennent leurs rôles.
Quand on se penche un peu plus sur le projet, à l’instar du Trap de M. Night Shyamalan, il s’agit en fait d’abord et avant tout d’un projet familial.
En effet, produit par l’acteur réputé Denzel Washington (lui-même réalisateur à ses heures et s’étant attaqué à l’adaptation d’une pièce de théâtre du même auteur, il y a quelques années, avec Fences, où il reprenait le rôle qu’il avait joué sur les planches), le film permet à son fils Malcolm Washington de réaliser son premier long-métrage (dont il a cosigné le scénario, basé sur la pièce) et au frère de ce dernier, John David Washington, d’y tenir l’un des rôles principaux. Même la mère, Pauletta Washington, et la soeur, Olivia Washington, y tiennent de petits rôles.
Avec un réalisateur entouré d’une équipe de collaborateurs d’importance, tout semblait réuni pour une oeuvre de qualité supérieure. Et la pièce elle-même semble enfin avoir droit au grand écran – avant que Netflix ne l’étouffe sur sa plateforme numérique –, après un téléfilm de 1995.
Avec Mike Gioulakis aux images (un collaborateur régulier de Shyamalan), le grand Alexandre Desplat à la musique, Leslie Jones au montage (qui travaille régulièrement avec Paul Thomas Anderson) et Virgil Williams au scénario (qui avait écrit le mièvre A Journal for Jordan, le précédent film de Washington père) les attentes pouvaient difficilement être plus élevées.
C’est d’autant plus démultiplié que John David Washington s’est certainement imposé dans les dernières années comme l’un des acteurs de la relève à surveiller de très près (on l’a remarqué autant chez Christopher Nolan, dans Tenet, que chez Spike Lee, dans BlaKkKlansman, notamment) et qu’on ajoute à la distribution des noms aguichants comme ceux de Corey Hawkins (qui partageait l’écran avec le père dans The Tragedy of Macbeth, de Joel Coen), Michael Potts, Danielle Deadwyler, Stephan James, mais aussi surtout l’imposant Samuel L. Jackson.
On y raconte l’histoire d’une famille qui s’entredéchire entre le passé, le présent et le futur, tous ses membres étant reliés par un piano donné en héritage, alors qu’un frère et une soeur n’arrivent pas à s’entendre s’ils le gardent, ou le vendent pour acquérir un lopin de terre.
Si la poésie, ainsi que plusieurs envolées lyriques, fonctionnent bien, et si on a tenté, du mieux qu’on peut, d’éviter l’effet statique d’une pièce de théâtre en multipliant les lieux (bien que la majorité du film se déroule dans la même maison), le long-métrage n’arrive jamais à s’en défaire puisque personne ne parvient à jouer comme on le fait au cinéma.
Effectivement, n’en déplaise au talent de la distribution, la majorité des dialogues sonne faux, puisqu’on a continuellement l’impression que les acteurs déclament leurs textes sur une scène, y enlevant à la fois le naturel et l’authenticité qu’on aurait dû y retrouver.
À force de chicanes, on finit par se lasser rapidement des monologues et des échanges entre tous ces personnages, ce que des flashbacks, un intermède musical plutôt tiède et quelques autres passages – dont un dernier tiers qui verse presque dans l’horreur – n’arrivent pas à mieux faire avaler.
Au fil d’un 125 minutes qui se fait lourdement sentir, on constate la présence de plusieurs éléments, ainsi que plusieurs tons disparates, qui ne s’imbriquent jamais vraiment ensemble, parce que la réalisation manque de conviction et qu’on ne semble pas savoir, concrètement, ce qu’on veut proposer comme oeuvre cinématographique.
C’est dommage, puisque la résilience des personnes racisées peut donner droit à des projets surprenants qui peuvent prendre toutes sortes de directions (la merveilleuse télésérie Lovecraft Country, par exemple), mais ici, c’est surtout l’ennui qui prime.
The Piano Lesson est sans l’ombre d’un doute une énième tentative de Netflix de produire une oeuvre qu’on qualifie habituellement d’Oscar bait, mélangeant des éléments clés qu’on pense attribuer à une formule gagnante, un sujet d’actualité en extra. De quoi faire regretter encore plus que ce film qui avait tout pour séduire, mais qui nous donne plutôt envie de l’oublier avant même qu’il ne soit terminé.
4/10
The Piano Lesson prend l’affiche de manière limitée en salle le vendredi 8 novembre, avant de se retrouver sur la plateforme Netflix le 22 novembre prochain.