Se remet-on vraiment d’un premier amour? Se remet-on vraiment d’un film comme L’amour ouf? Deux questions qui semblent, à l’instar des protagonistes du récit, intrinsèquement liées dans cette proposition de Gilles Lellouche, qui compense son manque d’originalité par une exécution d’une maîtrise intimidante. Le genre de long-métrage dont on se défait difficilement.
La dernière fois que l’acteur Gilles Lellouche s’est essayé derrière la caméra, on a eu droit au succès surprise que fut la comédie populaire Le grand bain, il y a plus de cinq ans. L’histoire veut que Lellouche gardait en parallèle ce projet-passion librement adapté du roman Jackie Loves Johnser Ok?, de l’irlandais Neville Thompson, après que son ami l’acteur Benoît Poelvoorde (présent dans le film qui nous intéresse par ailleurs) lui ait recommandé le livre parce qu’il y voyait un fort potentiel cinématographique.
Environ une décennie plus tard, le résultat final, qui fut retravaillé jusqu’à sa dernière seconde (on serait passé d’une odyssée de quatre heures à une épopée romanesque de 165 minutes, où il semble difficilement y avoir une seconde de trop), leur donne certainement raison.
Sauf que Lellouche ne s’est pas contenté d’une simple adaptation, en s’appropriant le récit pour en faire quelque chose de typiquement français. Il a changé les lieux, passant de Dublin au nord de la France; a retravaillé les personnages, comme Johnser qui est devenu Clotaire, prénom qui grâce au film pourrait jouir d’une seconde vie d’ailleurs; il a coupé dans le gras des intrigues futiles et a conservé le titre de la traduction française du roman, jeu de mot magnifique entre une expression typiquement française et la folie émanant d’une telle passion.
Ainsi, à des milles des Infidèles, un autre projet où Lellouche s’est aussi essayé derrière la caméra, il s’agit ici d’une véritable déclaration d’amour sur tous les fronts. Une puissante histoire d’amour et de passion traitée avec toute la force et l’émotion nécessaires.
Et s’il n’est plus vraiment possible de réinventer la romance, Lellouche s’est assuré de donner tout ce qu’il avait pour en faire un film qui nous fait tout vivre et ressentir en même temps que ses personnages, dans une proposition intense, d’une poésie enveloppante, violente à ses heures, mais évoquant autant Shakespeare que les tragédies grecques, passant de West Side Story au Romeo + Juliet de Baz Luhrmann en un claquement de doigts.
Le réalisateur a repris ses collaborateurs de la veille et leur permet d’aller encore plus loin qu’auparavant, que ce soit Laurent Tangy aux images dans des jeux de lumières et de couleurs qui défient l’imaginaire, Simon Jacquet au montage, ou l’Américain Jon Brion à la musique.
Mieux encore, histoire de bien développer ce récit à deux voix (on essaie de raconter à part égale le côté de la médaille de Jacqueline, dite Jackie, et celui de Clotaire), Lellouche a eu la brillante idée de faire appel à la cinéaste Audrey Diwan pour collaborer au scénario.
Un choix gagnant, puisque le film parvient à bien cerner les différentes réalités et à apporter une profondeur qui va certainement au-delà du simple tandem de la belle et la brute, un peu comme Jacques Audiard y était parvenu avec De rouille et d’os, mais avec encore plus de chair à offrir au pendant féminin de la romance, fièrement défendue tantôt par l’ingénue Mallory Wanecque, tantôt par l’immense Adèle Exarchopoulos.
Toutes deux démontrent ainsi une chimie électrique avec leur partenaire respectif, via des performances investies du nouveau venu Malik Frikah et du vétéran François Civil, rarement associé à des rôles aussi musclés. Les quatre nous font croire, dès les premières secondes, à cette histoire amoureuse que beaucoup qualifieraient d’impossible.
C’est qu’au sommet des nombreuses qualités du long-métrage trône une imposante distribution réunissant plusieurs des plus grands noms du cinéma français actuel, allant des impeccables Alain Chabat et Élodie Bouchez, aux fascinants Karim Leklou, Vincent Lacoste et Anthony Bajon. S’assurant de faire rire à tous coups par leur inimitable sens de la répartie, les brillants Raphaël Quenard et Jean-Pascal Zadi complètement l’ensemble.
Tous se donnent sans compter dans un long-métrage qui prend aux tripes, puisqu’il parvient avec un brio absolu à représenter la passion dévorante qui engloutit tout sur son passage.
Si l’on se permet de traiter de biais des thèmes comme la pauvreté, la possibilité ou l’impossibilité de choisir son destin, l’importance de la scolarité, les ravages de la criminalité, les injustices et on en passe, on ne se laisse jamais déranger trop longtemps par des sentiments comme la vengeance, en s’assurant de continuellement demeurer concentrés sur ce qui nous intéresse. Lire ici: l’implacable romance, qu’importe comment on essaie de l’enterrer.
Avec un doigté rare, le film garde le pouls des événements et revirements, en sachant exactement comment les mettre en scène, avec des angles qui surprennent et des tours de passe-passe judicieux au montage, tout en se permettant une reconstitution exemplaire pour bien rendre ce récit qui se déroule sur deux décennies.
Il faut dire que l’ensemble est grandement aidé par une trame sonore à tout casser, où se succèdent des tubes de Daft Punk, Billy Idol, Yves Simon, Deep Purple, Nas, Foreigner et, bien sûr, l’une des scènes les plus mémorables de l’année sur A Forest de The Cure. Des sélections musicales qui détonnent régulièrement et s’éloignent des évidences ou de ce qu’on entend régulièrement de film en film, l’inclusion d’une chanson de Prince valant à elle seule toute l’admiration du monde.
L’amour ouf est une oeuvre forte, un coup absolu au coeur. Le genre de création qui consume tout, de ses personnages à ses spectateurs. Un film immense qui nous rive à notre siège pendant sa totalité et qui ne nous quitte plus une fois le générique terminé. Il a beau nous donner l’illusion de choisir notre fin, ce n’est qu’un mirage, il n’y a aucun doute que c’est le film qui a le contrôle au bout du compte, ne nous laissant plus le choix de le suivre et de l’admirer, de bout en bout.
9/10
L’amour ouf est présenté ce jeudi 7 novembre et vendredi 8 novembre dans le cadre du Festival de films francophones Cinémania. Il prendra l’affiche en salle au Québec, via VVS Films, le 1er janvier prochain.