Si l’Amérique s’apprête à élire un nouveau président (ou une nouvelle présidente), cette élection ne se décidera pas par le vote populaire, mais plutôt dans une poignée d’États-clés, dont les quelques voix au Collège électoral feront pencher la balance pour Kamala Harris ou Donald Trump. Et selon Reporter sans frontières (RSF), le poids politique de ces États est tristement inversement proportionnel à l’état de la liberté de presse qui y règne.
Dans un rapport justement intitulé Press Freedom in the Swing States, l’organisation internationale s’intéresse plus particulièrement à quatre de ces États pivots, soit l’Arizona, la Floride, le Nevada et la Pennsylvanie. Après tout, comment prendre une décision éclairée, dans l’isoloir, si l’accès à des informations factuelles est dificile, voire impossible?
Parmi les constatations frappantes, dans l’ensemble des territoires examinés, 94% des répondants à une vaste enquête menée par RSF ont indiqué que « les responsables publics bloquent ou ignorent les demandes d’accès à l’information », ceux travaillant en Arizona étant jugés comme les pires à ce sujet.
Par ailleurs, les deux tiers des participants (66%) ont soutenu « qu’il est difficile de gagner sa vie comme journaliste », alors que les trois quarts ont mentionné que leur média peinait à joindre les deux bouts.
Les nouvelles ne sont toutefois pas nécessairement toutes mauvaises; ainsi, au Nevada, le salaire médian des journalistes oscille autour de 85 000 $ US, soit à peu près exactement le montant qui est considéré comme le « minimum viable » pour éviter non seulement de sombrer dans la pauvreté, mais aussi pour « vivre décemment ».
Il s’agit toutefois du seul État où cette situation a été recensée; en Arizona, le manque à gagner est estimé à un peu plus de 20 000 $ US, alors qu’il est de 40 000 $ US en Pennsylvanie.
C’est aussi en Arizona que l’on retrouve Kari Lake, ironiquement une ancienne journaliste, qui a depuis rejoint les rangs des partisans de Donald Trump. Battue dans les urnes, elle n’a jamais reconnu sa défaite, préférant appeler à l’emprisonnement des journalistes contestant son déni des résultats électoraux. Les « fausses nouvelles », c’est-à-dire les médias traditionnels, ou encore tous ceux qui n’approuvent pas ses dires, sont aussi fréquemment ciblées dans ses discours.
La Floride, le mauvais élève
En Floride, le gouverneur républicain Ron DeSantis, lui-même ancien candidat à l’investiture de son parti en vue de la présidentielle, a tenté de faire adopter, sans succès, une loi permettant d’élargir les critères permettant d’intenter les critères pour poursuivre les médias.
Toujours selon RSF, d’autres responsables gouvernementaux de cet État sont bien souvent ouvertement hostiles aux journalistes; 92% des travailleurs de l’information sondés dans le cadre du rapport ont mentionné que « ces responsables font preuve d’antagonisme face à la presse, ou en lien avec la liberté de presse ».
Autre problème, l’État a fait adopter une loi interdisant aux journalistes de se trouver à moins d’une dizaine de mètres de policiers en service, « ce qui est un obstacle important au travail médiatique ». Toujours dans cet État, d’ailleurs, « plus de 300 000 habitants n’ont aucune source de nouvelles locales », soit le troisième plus important total de l’ensemble des États-Unis.
En Pennsylvanie, enfin, les journalistes « font l’objet d’actes de violence ciblés ». Et 94% d’entre eux disent « s’inquiéter de l’animosité des politiciens et du public lorsqu’ils travaillent sur le terrain », signe de la méfiance de la population envers les reporters.
« La croissance des déserts médiatiques inquiète grandement, en lien avec la solidité des institutions démocratiques de chaque État », écrivent les auteurs du rapport de RSF.
Ces derniers reconnaissent que de nouvelles solutions sont graduellement mises en place pour assurer la rentabilité des médias, « mais qu’aucune d’entre elles n’assurera, à elle seule, la rentabilité ».
« Les législatures d’État doivent agir pour accroître le financement public, offrir des crédits d’impôt pour abonnements, et adopter des politiques qui s’assurent que les compagnies de médias sociaux offrent une compensation juste aux médias dont elles utilisent le contenu », lit-on encore dans le document.
Ce dernier point pourrait d’ailleurs s’avérer bien difficile, si l’on se fie aux réactions de Facebook et Google au Canada, par exemple, lorsqu’Ottawa a voulu adopter une telle loi. Près d’un an après l’entrée en vigueur de cette loi, les contenus médiatiques demeurent bloqués sur Facebook et Instagram.
Aux États-Unis, la question du mauvais état de santé de l’industrie médiatique ne sera certainement pas réglée avant la présidentielle, mais il ne fait aucun doute que le prochain occupant du bureau ovale aura à agir… ou cherchera à en profiter pour en tirer profit, selon l’identité du vainqueur.