Scott Beck et Bryan Woods, surtout connus pour leur travail de scénaristes, poursuivent avec Heretic leur réflexion sur la survie, dans ce qui pourrait bien être leur film le plus accompli à ce jour. Un film non pas sans défauts, mais il s’agit peut-être du long-métrage le plus en mesure de les réaffirmer comme des cinéastes à surveiller, réalisation incluse, plutôt que comme de simples pions dans la machine hollywoodienne.
Sous la gouverne du réputé studio et distributeur A24, reconnu pour ses productions léchées mais étranges, retournant vers la lettre « H », nos deux cinéastes américains semblent poursuivre ce qu’ils avaient entamé dans le délirant, mais méconnu Haunt.
Dans ce dernier, une bande d’adolescents (plus futés qu’ils le semblent, sous leurs traits clichés habituels des films d’horreur) se retrouvaient de leur plein gré (ou presque) prisonniers d’un labyrinthe cruel.
Délaissant la violence crue et graphique qui se rapprochaient de films comme The Purge, sans pour autant se défaire du certain sadisme d’un maître du jeu mystérieux qui tire les ficelles, à l’instar de la franchise Saw, on continue de développer les idées sur le libre-arbitre. Sauf que la proposition est beaucoup moins claustrophobique qu’attendu et vient titiller le public ciblé d’une manière inédite: par l’intellect.
De fait, il s’agit probablement de la proposition la plus verbeuse à ce jour de la part des scénaristes du premier A Quiet Place.
Nous sommes aussi en présence d’un film qui pousse les spectateurs à réfléchir presque autant que ses personnages sur des sujets aussi vastes que la philosophie et la religion.
Certes, il était possible d’avoir la puce à l’oreille dès le départ, en réalisant qu’on suit le parcours de deux jeunes missionnaires mormons tentant de recruter de nouveaux fidèles pour leur église.
Sauf que nous ne nous doutions peut-être pas qu’on pousserait l’audace jusqu’à construire la totalité du film sur ces dilemmes moraux, éthiques et autres; de quoi rappeler la brillante télésérie The Good Place, la jovialité en moins, mais tout de même avec plusieurs détours humoristiques aussi déroutants que bienvenus.
Les rires (de toutes les couleurs possibles) multipliant plusieurs malaises, sont presque essentiellement dus grâce à la présence imposante de Hugh Grant, de loin l’un des acteurs les plus meta qui existent. Effectivement, depuis plus d’une décennie déjà, l’acteur qui s’est fait connaître pour ses charmes et son irrésistible charisme dans bon nombre de comédies romantiques, s’amuse avec un plaisir évident à déconstruire son image et à jouer les méchants de service (et autres) dans des créations à l’étendue aussi vaste que Paddington 2 ou la télésérie The Undoing.
Ici, il continue de montrer les limites infinies du talent de cet acteur britannique lorsque vient le temps de déjouer les attentes du spectateur, et comme le faisait Speak No Evil (l’original ou son remake récent), à jouer sur jusqu’où nous sommes prêts à aller selon le simple principe de la politesse et de la bienséance, même si l’on semble avoir déjà atteint la limite du tolérable.
Ainsi, si nos deux protagonistes se retrouvent plusieurs fois en situation de détresse et d’inconfort, après être entrées volontairement dans la demeure d’une recrue potentielle, il semble bien plus dur qu’il ne paraît de suivre son instinct face à tous les drapeaux rouges, et de prendre ses jambes à son cou.
Sauf que pour ceux qui voudront se prêter au jeu, il y aura assez de revirements (autant dans le récit que dans le ton) pour garder notre intérêt jusqu’à une finale à la fois poussive et poétique que les spectateurs auront le choix d’accepter ou de refuser.
Beck et Woods ont toujours eu un peu de misère à bien finir leurs projets, mais c’est bien la seule chose qu’on retrouve de négatif à retenir de leur parcours habituel, alors que presque tout le reste a été revampé.
Avec une esthétique soignée que ne renierait pas le Ari Aster de Hereditary, on a conservé le compositeur Chris Bacon qui multiplie les airs mélodiques inquiétants, mais on peut se rassurer en se disant que ce projet n’a absolument rien à avoir avec leur précédent et insipide 65.
S’il ne s’agit pas de son meilleur travail, l’apport du talentueux directeur photo coréen Chung-Hoon Chung, qui s’est fait connaître aux côtés du grand Park Chan-Wook, est toujours un atout non négligeable. Il tire grandement profit de chaque recoin de cette demeure aux milles secrets, tout comme des paysages à la nature changeante de Vancouver.
Du reste, on sent encore l’affection des auteurs pour leurs personnages et leur volonté de ne jamais les mépriser ou d’en amoindrir leur intelligence. On peut dire que cela est aidé par les performances nuancées et culottées lorsque nécessaire de Sophie Thatcher, dont on connaissait déjà sans mal le talent, mais surtout de la performance stellaire de Chloe East, qui surprendra jusqu’à la toute dernière minute.
C’est en interprétant celle qui semble être la plus fragile des deux qu’East se démarque et contribue à nous empêcher de détourner le regard de tout ce qui se passe sous nos yeux et de miser sur leur survie, plutôt que de céder à notre attirance magnétique naturelle pour Grant.
On vous met au défi, toutefois, de remarquer la présence de Topher Grace avant l’arrivée du générique, qui pourrait difficilement passer plus inaperçu. Générique qui, mentionnons-le au passage, fait la promesse inusitée que la production n’a aucunement utilisé l’intelligence artificielle pour la création du film.
Heretic est donc une proposition singulière. Un projet qui donne plus dans le suspense que dans l’horreur (pourtant le genre de prédilection du duo derrière le film), comme si on avait enfin décidé de vouloir travailler sur quelque chose de plus concis qu’une simple idée plus ou moins bien développée. L’effort porte fruit, puisque le long-métrage divertit tout en restant longtemps dans notre esprit, alors qu’on se retrouve à se questionner sur notre propre foi… Vous serez prévenus.
7/10
Heretic prend l’affiche en salle ce vendredi 8 novembre.