Si la question du harcèlement et des violences sexuelles à l’encontre des femmes fait l’objet d’une plus grande attention médiatique, depuis quelques années, un coup de sonde réalisé par l’organisation Reporters sans frontières (RSF) indique que les journalistes de sexe féminin qui dénoncent ces situations en deviennent souvent victimes à leur tour, entre autres conséquences.
Après la publication de deux autres rapports sur cette situation, RSF dénonce, dans cette nouvelle enquête, que « oui, les enquêtes sur les droits des femmes et les violences de genre sont plus légitimées et visibles, et ce, à l’international ». Mais que les travailleurs de l’information sont aussi plus souvent ciblés par une « violente répression ».
Pour faire la lumière sur ce phénomène, RSF a interrogé 113 journalistes provenant de 112 pays; le tiers des répondants venaient d’Afrique, environ le cinquième provenaient d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord, alors que le reste était originaire de l’Océanie.
L’impact de #MeToo
Les résultats sont indéniables, lit-on dans ce nouveau rapport: l’apparition du mouvement #MeToo, pour dénoncer la violence à caractère sexuel (principalement envers les femmes) – et ses dérivés locaux –, a eu un impact majeur sur le traitement de ces sujets dans la sphère médiatique.
Ainsi, près de la moitié des répondants estime que cet impact a été « significatif » dans leur pays; on constate également que 80% des participants ont signalé « une augmentation du nombre de sujets relatifs aux droits des femmes, aux questions de genre et/ou aux violences sexistes et sexuelles depuis 2017 ».
Plusieurs médias spécialisés dans ces domaines ont aussi vu le jour dans la foulée de l’apparition de #MeToo: RSF donne comme exemple le magazine francophone La Déferlante, avec quelque 20 000 copies écoulées par numéro.
Il est aussi question de Bilan Media, une publication somalienne qui s’avère être « le premier média féminin et indépendant en ligne » de ce pays d’Afrique déchiré par la guerre et le terrorisme.
Le coup de sonde de RSF révèle toutefois l’existence d’un « désert médiatique » en ce qui concerne la couverture de ce type d’enjeux: ainsi, « près de la moitié des répondants estime que, dans leur pays, le nombre de médias spécialisés sur les droits des femmes, les questions de genre et/ou les violences sexistes et sexuelles est inférieur à cinq ».
Environ un répondant sur cinq (21%) juge que la voix des femmes dans les médias « n’est pas vraiment présente ». À l’opposé, seulement une personne sur dix estime que cette voix est « très présente ».
De façon similaire, un participant sur cinq mentionne que les médias traditionnels de leur pays ne possèdent pas de rubrique ou d’émission spécialisée sur les droits des femmes, les questions de genre et/ou les violences sexistes et sexuelles.
La situation est bien pire lorsque l’on s’attarde aux grands journaux quotidiens: les deux tiers des répondants indiquent que ce type de contenu est absent des pages de ces publications.
On signale également, chez près de la moitié des sondés (42%), la rédaction de « chartes éthiques, des codes de bonne conduite ou des guides de bonnes pratiques sur le traitement médiatique des droits des femmes, des questions de genre et/ou des violences sexistes et sexuelles » dans les différents médias.
De lourdes conséquences
Malgré toutes les avancées, le fait d’enquêter sur les violences faites aux femmes s’accompagne parfois de conséquences importantes: près du quart des participants à l’enquête ont dit connaître au moins un cas de journaliste travaillant sur ces sujets qui a été menacé de mort en raison de son travail.
Par ailleurs, une personne sur cinq a dit connaître un travailleur de l’information qui a été ciblé par une agression physique pour avoir fait état de ces enjeux visant les femmes.
La même proportion de répondants a indiqué être au fait d’au moins une personne ayant été ciblée par une procédure judiciaire « pour diffamation ou dénonciation calomnieuse » en lien avec son travail. Quelque 12% des participants ont signalé le départ de la profession d’un ou une journaliste assignée à ces enjeux.
De plus, un cinquième des sondés évoque la nécessité, pour une personne de leur connaissance, de travailler anonymement, ou en utilisant un pseudonyme.
Pire encore, les femmes étant souvent plus nombreuses que les hommes à s’intéresser à ces sujets, elles sont aussi largement ciblées « par des violences genrées spécifiques », notamment « des menaces de viol, des insultes à caractère sexuel, un deepfake à caractère pornographique, etc. », indique RSF.
Enfin, la quasi-totalité (93%) des répondants ont indiqué ne pas être au fait de la condamnation, devant les tribunaux, d’un auteur présumé de ces attaques contre des journalistes qui s’intéressent aux questions entourant les violences envers les femmes.
« La plupart des cas de violence en ligne contre les femmes journalistes ne sont pas signalés et lorsqu’ils
le sont, ils ne font pas l’objet d’une enquête aussi rapide et efficace qu’elles le méritent, afin de punir les
responsables de ce crime », dénonce ainsi Rosa Maria Rodriguez Quintanilla, directrice générale du Réseau international de journalistes avec une vision de genre.
De façon encore plus funeste, RSF rapporte que « sur les 486 journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions dans le monde, depuis 2017, 40 sont des femmes, et au moins 10 d’entre elles ont été tuées après avoir consacré une partie de leur travail aux droits des femmes et aux violences de genre ».
Appels à la protection des journalistes
Dans ses recommandations, Reporters sans frontières fait appel aux États pour que ceux-ci posent plusieurs gestes:
-Garantir la protection des journalistes qui travaillent sur les sujets liés aux droits des femmes;
-Criminaliser certaines formes de cyberharcèlement qui visent les journalistes femmes et provenant de minorités de genre;
-Encourager les médias à adopter des outils pour assurer, notamment, l’égalité hommes-femmes dans les structures et la mise en place d’outils de formation pour sensibiliser à la parité.
Les plateformes numériques, elles, sont notamment incitées à « accorder un traitement d’urgence au signalement des journalistes victimes de cyberhacèlement ».
Les médias, enfin, sont appelés à développer des services d’aide financière « pour mieux soutenir le travail d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles ».