Des lettres échangées durant 15 années entre deux êtres brûlant d’exister – l’écrivain Albert Camus et l’actrice Maria Casarès – s’envolent de la scène du Théâtre du Nouveau Monde. L’œuvre Correspondance (1944-1959), parue en 2020, s’incarne et s’enlace autour de deux personnages dans une mise en scène de Maxime Carbonneau exigeante et innovante par ses pans multimédia. Anne Dorval dévoile ainsi sa part de Maria pour Pieuvre.
Souffle du désir à deux
L’exercice vertigineux de redevenir l’actrice espagnole, après l’avoir incarné en 2021 dans le cadre du Festival international de littérature et l’an dernier au TNM, engendre encore un certain trac. Comme une forme de paralysie avant le saut sans filet du théâtre. Anne Dorval a retravaillé, encore et encore, ce rôle, avec une rigueur inlassable, confie-t-elle. La matière textuelle de la Correspondance, aussi intense et amoureuse soit-elle, est une charge en soi, presqu’un danger dans cet échange de deux heures entre les deux acteurs.
« En une seconde d’inattention, tout peut basculer…», soulève l’actrice. Être liée au destin de celle qui disait « avoir toujours en état d’urgence » depuis son exil de l’Espagne franquiste en 1936 pour Paris, à seulement 14 ans, invite à une force, à une solidarité entre femmes. « On partage le même métier, j’admire sa droiture, son indépendance et les risques qu’elle prenait pour apprendre à être une actrice en France, en français. »
Trame amoureuse sur fil historique d’avant et de post Deuxième Guerre mondiale, la pièce émeut par les conflits et le chaos de cette époque qui n’est pas sans rappeler la nôtre. Pour Anne Dorval, le travail d’adaptation de Dany Boudreault qui n’a pas lésiné à s’emparer de toutes les lettres, de les mélanger pour mieux les revisiter est exemplaire.
On apprend l’épisode des Alpes, où le Résistant Camus est forcé de se cacher, la rafle à Paris où Maria doit dissimuler la maquette du journal Combat dont Camus devient le rédacteur en chef face à des Allemands prêts à le fusiller. Maria le raconte, se raconte, jeune jusqu’à sa maturité.
« Dany a ajouté le discours de Camus à sa remise du prix Nobel en Suède, collé à l’actualité, à ses dénonciations, le rôle des artistes, la jeunesse et l’optimisme difficile à garder en temps de conflits. C’est bouleversant de modernité! », déclare Anne Dorval, qui ajoute avoir trouvé face à l’acteur Steve Gagnon une parfaite entente, une foi commune du jeu théâtral à travers ses yeux.
L’imparfait Camus
La pièce montre un Camus dans l’ombre comme dans la lumière, loin d’être parfait dans toutes les dimensions de sa vie. Un homme séducteur qui tombe sous les charmes d’autres femmes que Maria, un père seul dans son rôle auprès de ses deux enfants, Catherine et Jean. Et l’éclat de ses victoires, de sa plume moderne et juste avec le prix Nobel de littérature en 1957.
Un homme de lettres extraordinaire, soutient Anne Dorval, politiquement engagé pour la cause des exilés, sa terre d’Algérie, mais qui a aussi causé des souffrances intimes à Maria Casarès. « Elle a souffert en silence. Elle était dépendante des décisions de Camus et elle a connu des frustrations à force de l’attendre jusqu’à sa mort », rappelle l’actrice.
Je t’écris au milieu d’un bel orage
22 au 27 octobre
Une production du Théâtre du Nouveau Monde
D’après Correspondance (1944-1959), d’Albert Camus et Maria Casarès, publié aux Éditions Gallimard