Si de récents sondages démontrent que la confiance du public envers le processus électoral américain est en baisse, particulièrement chez les républicains, cela ne veut pas dire que les élections chez nos voisins du Sud sont de moins en moins fiables.
Voilà, du moins, l’avis de chercheurs de l’Université de Californie, à Berkeley.
En fait, ces spécialistes soutiennent que les élections sont plus sécuritaires, et que leurs résultats sont encore plus fiables qu’ils ne l’étaient il y a 20 ans. C’est ce qu’affirme David Wagner, professeur en science de l’informatique.
Et si les experts s’entendent pour dire qu’il y a largement place à l’amélioration des systèmes permettant de voter, chez l’Oncle Sam, le Pr Wagner martèle que les menaces les plus importantes, en lien avec les résultats électoraux, n’ont rien à voir avec la façon dont les votes sont comptés.
« Aujourd’hui, je crois que le risque le plus important est l’élément humain – la désinformation, la propagande, la manipulation via les médias, les efforts ciblés pour faire en sorte que des populations précises votent ou ne votent pas, ainsi que les tentatives d’autres pays pour provoquer le chaos ou interférer dans nos élections », a déclaré le Pr Wagner, qui travaille pour un comité fédéral américain responsable d’établir les normes pour les machines destinées au vote électronique ou mécanique.
Comme le rappellent les auteurs de l’étude, « la confiance envers le processus électoral est l’un des piliers d’une démocratie fonctionnelle ». Et l’ampleur de cette confiance peut avoir un impact sur toutes sortes d’aspects, que ce soit du côté de la participation électorale, ou même en ce qui concerne les risques d’insurrection.
D’un point de vue technique, les élections américaines sont particulièrement sécuritaires, soutient le Pr Wagner. Au début des années 2000, les risques de piratage de l’équipement électoral étaient élevés. Aujourd’hui, un grand nombre de risques ont été partiellement ou entièrement neutralisés, affirme-t-il.
Toujours selon le Pr Wagner, les machines de vote électroniques doivent ainsi respecter des normes de protection spécifiques, et une partie des voix est vérifiée manuellement, dans plusieurs États, afin de s’assurer que les votes sont comptés de façon exacte.
Des accrocs, malgré tout
De son côté le professeur Philip Stark, spécialisé en statistiques, reconnaît que les processus électoraux ne sont pas exempts de problèmes, des problèmes qui varient en fonction des gouvernements étatiques et locaux qui gèrent le vote.
Ainsi, impossible de s’entendre à savoir si les appareils servant à marquer les bulletins de vote sont suffisamment fiables pour s’y fier, et s’ils enregistrent correctement le choix d’un individu, a expliqué le Pr Stark. Il existe également des problèmes lorsque vient le temps de confirmer que toutes les voix ont bel et bien été comptées, effectuer un audit des bulletins de vote après que ceux-ci eurent été déposés dans l’urne, ou encore s’attaquer aux menaces intérieures, dit-il.
Ce genre d’enjeux a été clairement visible lors de l’élection présidentielle de 2020 en Géorgie.
« Nous avons présentement ce que j’appellerais des élections « basées sur la confiance », où les gens disent « faites-moi confiance » et que le travail a été effectué correctement », a encore indiqué le Pr Stark.
Ce dernier a mis au point des audits permettant de réduire les risques, une méthode adoptée par plusieurs États et qui permet d’évaluer si les résultats électoraux rapportés sont exacts.
« Nous devrions plutôt avoir des élections basées sur les faits, où au lieu de simplement dire que « George Washington a gagné », les responsables électoraux ont l’obligation de fournir des preuves convaincantes qui confirment que George Washington l’a effectivement emporté. »
Et pour James O’Brien, lui aussi professeur en informatique à Berkeley, les images et vidéos truquées (deepfakes) sont aussi un problème important. Comme il le rappelle, la technologie s’améliore rapidement, et il est de plus en plus difficile de différencier des images frauduleuses de véritables clichés, même pour des experts comme lui-même. Ces outils sont aussi de plus en plus facilement accessibles, ce qui signifie que davantage de faux contenus sont partagés, affirme-t-il.
« Nous allons simplement devoir accepter le fait que si je montre une image, cela ne prouve pas qu’elle est vraie », juge le Pr O’Brien.
Cela peut d’ailleurs avoir des conséquences majeures en lien avec la confiance envers le processus électoral, juge le professeur. De fait, le public doit déterminer à qui il accorde sa confiance, ce qui pourrait en dire plus long sur les biais déjà existants que sur la capacité des individus à détecter la vérité, dit-il.
En fait, l’un des principaux indicateurs permettant de déterminer si une personne fera confiance à une image est le fait de savoir si ladite image correspond aux propres valeurs de l’individu, a constaté le Pr O’Brien dans une étude réalisée en 2021.
De plus, certaines personnes ont tendance à croire des théories de la conspiration et de fausses vidéos peuvent offrir les « preuves » nécessaires pour valider ces croyances, a-t-il encore dit.
Quand vouloir la vérité est un risque
« Et donc, une personne cherchant à manipuler le public peut utiliser cette motivation sous-jacente à découvrir la vérité, qui est en fait un bon trait de personnalité. et contrôler des gens en leur montrant des choses qui les mènent dans la direction souhaitée par le manipulateur », affirme le Pr O’Brien.
« Nous avons vu comment cela a été accompli avec des informations textuelles lors des élections de 2016, avec le scandale de Cambridge Analytica, et comment ils se sont avérés très efficaces pour manipuler des gens. Désormais, la méthode est similaire, mais les résultats sont bien pires. »
Les spécialistes en informatique et les experts en statistiques possèdent une liste de points à vérifier pour évaluer la solidité et la fiabilité du cycle électoral 2024. Pour le Pr Wagner, cela comprend si un candidat concède la victoire si les résultats démontrent qu’il a perdu. Le chercheur va aussi se pencher sur l’utilisation et l’impact des deepfakes, en plus de tenter de trouver d’éventuels cas de fraude en lien avec les votes par procuration, ainsi que de possibles problèmes techniques, tout en soulignant que ces risques ne sont pas importants.
Enfin, le professeur Wagner dit « être en alerte » en cas d’utilisation de la science comme une arme politique. Selon lui, les débats « pointus » sur l’efficacité des machines électorales des dernières décennies ont donné naissance à des théories de la conspiration et que la science derrière le fonctionnement de ces appareils a été détournée pour arguer que l’élection a été volée.
« C’est une bonne chose de porter davantage attention aux élections, et de vouloir s’assurer que le processus est digne de confiance », soutient David Wagner.
« Mais il y a aussi un risque que la science soit prise hors contexte et serve à soutenir des théories qui ne correspondent pas du tout à ce que les chercheurs voulaient communiquer. »