Que ressentez-vous lorsque vous vous réveillez, le matin? Comment veut-on mourir? Et une machine peut-elle créer une histoire à partir des extraits souvent chaotiques fournis par des humains? Toutes ces questions se retrouvent au coeur de l’exposition Rêves codés, qui débute mercredi au Centre Phi, dans le Vieux-Montréal.
Composé de deux oeuvres, soit Tulpamancer et The Golden Key, l’événement veut clairement ébranler les colonnes du temple de la création artistique. À preuve: ces oeuvres sont entièrement créées par l’intelligence artificielle. Du moins, c’est ce qu’affirment les deux artistes responsables de ces créations, soit Marc Da Costa et Matthew Niederhauser.
Les deux hommes s’appuient ainsi sur des modèles langagiers et d’autres systèmes d’intelligence artificielle générative pour explorer la place de la technologie dans le monde artistique. Car si le web déborde de ces images et de ces vidéos encore trop souvent absurdes, et à qui il est très souvent nécessaire d’apporter des corrections pour faire disparaître les aberrations, nos deux artistes ont voulu emprunter un autre chemin: celui de se tourner vers l’IA pour donner vie à des pensées, des sentiments.
L’idée est certainement intrigante; surtout que pour Tulpamancer, on a créé ce qui a des allures de clinique d’expériences psychologiques et surnaturelles, avec chaises midcentury, s’il vous plaît!
En s’installant à l’un des huit bureaux mis à la disposition du public, dans autant de petites salles construites pour l’occasion, le spectateur est amené à répondre à plusieurs questions posées par un logiciel. En gros, il s’agit de décrire notre chambre au moment du réveil, par exemple, ou de se rappeler des souvenirs d’enfance, ou encore de parler d’un ou une inconnue croisé avant de se rendre au musée, cette journée-là.
Une fois le questionnaire complété, on enfile un casque de réalité virtuelle, et l’ordinateur va donner naissance à des paysages numériques s’appuyant sur les données que l’on vient de fournir; une voix va également offrir ce qui a des allures de narration de notre journée et de notre état d’esprit.
Au dire du créateur, Marc Da Costa, chaque expérience avec Tulpamancer est unique; le Centre Phi nous assure aussi que nos informations sont effacées immédiatement après la fin de notre voyage virtuel.
Sur papier, l’idée a du bon, et l’on appréciera certainement l’esthétique rétro, y compris l’ordinateur aux allures de vieilles machines « portatives » à l’écran monochrome du début des années 1980.
On pourrait même arguer que les créations visuelles de l’ordinateur, toutes distordues qu’elles soient, correspondent en fait à cet état de rêve éveillé dans lequel l’oeuvre semble vouloir nous plonger. Cela n’empêche pas l’image de l’inconnu(e) décrit(e) auparavant d’avoir des allures de cauchemar, mais…
Le hic, même si l’ordinateur effectue un assez bon travail pour enjoliver nos réponses et chercher à en faire un tout cohérent, c’est que… eh bien, il s’agit bien souvent des mêmes informations fournies quelques minutes auparavant. Outre le rapiéçage et les images virtuelles chaotiques, y a-t-il vraiment eu création artistique?
La même réflexion vaut aussi pour The Golden Key, où deux terminaux permettent d’alimenter une histoire infinie accompagnée de visuels, là encore quelque chose de généré par un modèle langagier et un engin de création graphique. Un genre de cadavre exquis version 21e siècle, avec artefacts étranges en sus. Nous ne sommes pas au niveau des chimpanzés qui, par dizaines ou centaines, tapent sur des machines à écrire dans l’espoir de recréer Shakespeare, mais la différence n’est pas si énorme qu’elle en a l’air.
Amusante et sympathique, mais sans plus, l’exposition Rêves codés semble ne pas être en mesure de fournir ce petit plus qui émerveillerait, qui surprendrait, ou encore qui réussirait à troubler. On a plutôt droit à l’équivalent numérique d’un automate capable de jouer aux échecs, en sachant très bien qu’une personne tout à fait humaine se cache à l’intérieur.
Rêves codés, avec les oeuvres Tulpamancer et The Golden Key, de Marc Da Costa et Matthew Niederhauser
Jusqu’au 12 janvier 2025, au Centre Phi