C’est avec un bonheur des plus contagieux que le Théâtre Denise-Pelletier a décidé de lancer sa nouvelle saison avec une relecture aussi moderne, féministe que bien en phase avec sa source de Peau d’âne, un conte éclaté qui prend vie de manière délirante sous nos yeux. Sous la tutelle de Félix-Antoine Boutin et Sophie Cadieux, qui en signent les textes et la mise en scène, refaisant équipe après leur adaptation de Fanny et Alexandre de Bergman en 2019, Cadieux s’offre également le cadeau de partager la scène avec son ami Éric Bernier pour la première fois. On ne s’en plaindra certainement pas.
La dernière fois qu’on les a vu ensemble, c’était durant la très amusante télésérie Lâcher prise. Sophie Cadieux et Éric Bernier troquent donc ici les caméras et les écrans pour la scène, un autre univers qu’ils connaissent très bien. Se partageant plusieurs rôles, ce que Bernier sait faire, comme en ont fait foi les multiples années qu’a roulé Le mystère d’Irma Vep, les deux comédiens y interprètent le destin de Peau d’âne, bien sûr, mais surtout son émancipation. Que ce soit de son père que des hommes en général. Le patriarcat, quoi!
Après tout, la réflexion de Cadieux – et de Boutin par le fait même –, pourrait difficilement être plus limpide: la place des femmes, que ce soit dans un conte ou dans la société, est certainement bien plus qu’un simple faire-valoir, un but à atteindre ou une chose à utiliser pour son propre bonheur.
C’est donc au détour de multiples folies puisant leurs inspirations avouées ou non dans Demy, Kill Bill, Karate Kid et autres Barbie ou même Into The Woods, qu’on revoit le rôle de la femme et qu’on lui ouvre les portes de son avenir.
Via d’innombrables flashs ingénieux autant par le biais de la mise en scène, la scénographie très vivante de Max-Otto Fauteux qui n’a pas peur de jouer sur les étages et les échelles de perspective, les nombreux et magnifiques costumes de Elen Ewing qui se métamorphosent parfois à-même la même scène, la musique ensorcelante et ensorcelée d’Antoine Bédard ou les accessoires de Marie-Jeanne Rizkallah, on mène tambour battant les 90 minutes sans entracte de la pièce par une fluidité fascinante. Les transitions, les changements de costumes et les mouvements sont constants et laissent la complicité et la folie contagieuse des deux interprètes prendre toute la place, laissant leur énergie et leur dévotion pour le projet s’approprier l’espace et les mots avec un plaisir communicatif.
Si certaines tirades s’étirent un peu et que certaines ruptures de ton prennent un moment à digérer (un tango en mode duel style West Side Story sur un air évoquant Mamma Mia! de ABBA en déstabilisera certainement plus d’un) on se délecte d’idées comme le disque qui tourne ou ce grand étalage de références à tout et à rien, incluant plein d’autres contes aussi troublants maintenant qu’ils l’étaient dans notre enfance. L’immense travail de recherche (incluant toutes les déclinaisons ou presque du conte, fort nombreuses avouons-le) étant constamment mis de l’avant.
Heureusement, les rires l’emportent toujours sur les traumas, les deux interprètes connaissant leurs forces et sachant jouer de leurs meilleurs atouts à tout moment. Alors qu’ils s’amusent avec leurs voix, leur manière de dire les mots, les sons et les choses, ou même de se trémousser (certaines gestuelles s’avèrent suffisantes pour déclencher les rires), on se délecte par leurs performances et on repense davantage à ces fous rires (nombreux) plutôt qu’à l’inceste. Il s’agit après tout d’un père endeuillé et inconsolable qui veut marier sa fille…
N’empêche, la réappropriation de la femme par le biais de son corps et de son destin est puissante, la pièce s’assurant toujours de nous éblouir. Le mariage des époques, qui conservent l’aspect fantaisiste tout en y incorporant judicieusement des éléments de notre modernité, aide à renforcer le côté intemporel de l’objet.
Disons que pour sa 61e saison, le Théâtre Denise-Pelletier aurait difficilement pu se faire mieux plaisir, et à nous aussi également.
7/10
Peau d’âne est actuellement présenté au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 octobre prochain.
Détails et billets ici: https://www.denise-pelletier.qc.ca/pieces/peau-dane/
À noter qu’ils poursuivront les représentations au Théâtre Baps Asper du Centre national des Arts à Ottawa, du 31 octobre au 2 novembre 2024.