Avec Visions, sa toute première œuvre remplie de voitures volantes, de mutants, d’extraterrestres et de G-Men menaçants, Alexis Mandeville rend un hommage vibrant aux comics américains de science-fiction de l’Âge d’or, autant au niveau de l’intrigue que de son style graphique, et pour en apprendre davantage sur cet album figurant parmi les finalistes du 10e Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise, Pieuvre a eu le privilège de s’entretenir avec son créateur.
Tu as étudié les arts plastiques au cégep de Lanaudière. Qu’est-ce qui t’a amené vers la bande dessinée?
Alexis Mandeville : Ça allait de soi, parce que j’en fais depuis l’âge de 10 ans. J’ai toujours tripé sur Tolkien, George Lucas, et les créateurs capables d’inventer des univers qui fonctionnent comme un petit système. Déjà, à l’âge de 9-10 ans, je m’inventais des histoires, et je trouvais que la bande dessinée, c’était un bon moyen pour les réaliser, parce qu’il y a du visuel. Ça ne coûte pas cher de faire une bande dessinée. Ce n’est pas comme faire un film. Faire un film, ça prend une caméra, quoique, aujourd’hui, si j’étais un petit gars et que j’avais un téléphone, j’aurais peut-être commencé à faire des films là-dessus. Mais moi, ça a adonné que c’était la bande dessinée. Il y a des jeunes qui font des films avec leur téléphone. Dépendant des époques, on a les médiums qui viennent avec.
Visions est ta toute première bande dessinée. Pour une première œuvre, tu as créé un monde vraiment riche et très étoffé. J’ai lu quelque part que tu élabores cet univers-là depuis que tu as 15 ans. Est-ce que c’est vrai?
Alexis Mandeville : Oui. Depuis l’âge de 14-15 ans, c’est mon obsession, de créer des petits microcosmes. Pour créer un univers, je pars de la conception d’une ville. Quand j’avais 15 ans, j’ai inventé une ville. Le nom est vraiment cheesy, là. Ça s’appelait Nordiciapole. C’était comme une espèce de Montréal, mais cyberpunk. Plus tard, je trouvais que le cyberpunk, c’était trop commun. Tout était cyberpunk dans les années 1990. Je me suis dit à un moment donné, je pense que c’est peut-être quand j’ai vu Brazil, que ça serait le fun d’incorporer des éléments de design rétro. Puis, à la longue, ma ville a changé d’un genre de métropole cyberpunk pour glisser vers une espèce de Métropolis.
On pourrait dire que Visions est un hommage au « Golden Age », l’Âge d’or des comics américain. Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans les bandes dessinées de cette époque?
Alexis Mandeville : Je me suis rendu compte à un moment donné qu’en science-fiction, ils font juste recycler les mêmes sujets depuis à peu près les années 1930. Je pense qu’après Dune de Frank Herbert, je ne suis pas un spécialiste de Dune là, mais je connais pas mal les idées et les époques qui ont porté ces idées-là, et soyons honnêtes, il n’y a pas eu grand-chose de nouveau après les années 1960. Souvent, dans la science-fiction contemporaine, ils vont parler de la nanotechnologie ou bien de la génétique… Tous ces sujets ont déjà été ébauchés dans la science-fiction des années 30, 40, 50, 60. De nos jours, quand il y a une affaire magique dans la science-fiction contemporaine, ils vont dire « c’est quantique ». Quand il y avait quelque chose de magique et d’inexplicable dans les années 50, ils disaient « c’est atomique ». Je pense qu’on peut remplacer le terme « quantique » par « atomique », puis ça va donner la même maudite affaire. Tant qu’à rajouter de la décoration sur quelque chose qui existe déjà, j’ai décidé de remonter à la source. Il y a déjà tout dans les Weird Science, ils ont déjà tout fait. C’est comme quand ils disent dans les sitcoms: « The Simpsons already did it ». C’est la même chose pour les auteurs de science-fiction des années 50.
Justement, Visions m’a beaucoup fait penser aux vieux comics d’EC comme Weird Science ou Incredible Science Fiction. Quelles ont été tes influences?
Alexis Mandeville : Moi, je n’ai pas lu Weird Science quand j’étais plus jeune. Je viens de St-Cuthbert, et avec mon frère, il a fallu qu’on déconstruise une vieille maison pour la reconstruire à neuf. En défaisant les murs, on trouvait des vieux journaux. Tu sais, admettons qu’ils avaient fait les murs dans le temps de la Deuxième Guerre mondiale, ben les journaux dataient de la Deuxième Guerre mondiale. Là-dedans, il y avait des bandes dessinées de Flash Gordon, de Tarzan, ou de Rip Kirby. Je me disais, moi, j’ai des histoires, et j’aimerais ça faire croire au monde que mes histoires sont vraies. J’avais vu un reportage sur les faussaires de l’art. Contrairement à bien du monde, moi, les faussaires de l’art, je les respecte, parce qu’il y a des faux dans l’histoire de l’art qui sont devenus des vrais. Il y a longtemps, j’avais eu l’idée de faire un comics et de le faire patiner comme si c’était un faux. Je l’aurais fait moisir à quelque part, puis j’aurais essayé de faire le tour des magasins de comic books dans l’ouest de la ville. J’avais commencé à le faire en anglais justement, parce que je voulais créer l’illusion, mais finalement, mon anglais n’était pas assez bon. J’ai continué cette démarche pour faire Visions. À la base, j’étais vraiment dans le détail, j’ai essayé de reconstituer quelque chose avec l’indicia au début, la petite note avec le nom du dessinateur, du coloriste, du lettreur. Je voulais faire carrément un faux.
Parlant de faussaire, tu es allé loin dans ton hommage aux comics de l’Âge d’or. Tu as créé les fausses pubs, le courrier des lecteurs… Même ta trame, on dirait une vieille trame avec les pointes d’imprimerie de l’époque.
Alexis Mandeville : Avant d’être publié, mon but, c’était d’aller voir des collectionneurs de comic books pour voir si c’était assez crédible pour qu’ils se posent des questions. Mais là, à un moment donné, c’était en français, et des bandes dessinées comme ça, des formats comics francophones, ça n’existait pas dans les années 1950. Il y avait les X-13, des romans-savon, mais il n’y avait pas de bande dessinée. Il aurait fallu que ça soit en anglais pour que ça marche. Mon but éventuellement, c’était de le publier. J’ai continué avec la même idée, comme si c’était pour un travail de faussaire.
Encore aujourd’hui, il n’y a pas tant de science-fiction que ça dans la bande dessinée québécoise. Qu’est-ce qui t’attire dans ce genre-là?
Alexis Mandeville : Ben tu sais, moi, le quotidien, ça ne m’intéresse pas. Je ne voyage pas. J’haïs ça voyager. Une fois, je suis allé à Berlin, en Allemagne, et la seule affaire qui m’intéressait, c’était les ressemblances. On est allé à Potsdam. Ça ne m’intéressait pas du tout. Il y avait des châteaux, des affaires du roi Frédéric de Prusse. Ça ne m’intéressait pas, mais par exemple, quand j’arrivais face à un guichet automatique, je me disais que le guichet automatique était pareil comme chez nous, c’est donc ben hot! Moi, ça ne me donne rien pantoute de voyager. Aller ailleurs dans le monde, aller prendre des vacances dans les Laurentides, aller dans un spa, moi, je m’en crisse. Ce n’est pas ça qui m’intéresse. Les affaires qui m’intéressent, je peux juste les voir dans les bandes dessinées, dans des films, ou dans mon imagination. Dans mon imagination surtout, ben franchement. Ces temps-ci, je commence à écouter un film, je regarde le début, je me dis « c’est ben plate », je regarde le milieu, c’est encore plus plate, je regarde la fin, et le punch, je l’avais vu venir, juste parce que c’était écrit dans le ciel. Et là, je te parle de films de science-fiction que je serais censé aimer. Par exemple, Kingdom of the Planet of the Apes, le dernier qui est sorti, je me disais que ça pourrait m’intéresser. Puis là finalement, j’ai commencé à l’écouter. J’ai skippé tout et puis à la fin, ça finissait comme je pensais. Les seules affaires qui me font triper ces temps-ci, c’est les affaires que j’invente. C’est peut-être un petit peu narcissique, mais même dans la science-fiction, il n’y a pas grand-chose qui m’intéresse. Franchement, ce qui m’intéresse le plus, c’est de voir d’où ça vient. Admettons, la théorie de la simulation, comme dans La Matrice. Ils en parlaient déjà dans les années 50. Il y a des histoires où des êtres humains sont enfermés dans un zoo, mais ils ne savent pas que c’est un zoo. C’est la même maudite affaire, sauf qu’il n’y a pas d’ordinateurs, mais c’est la même affaire.
Je me demandais, parce que tu fais tout, tu fais le dessin, le scénario, le lettrage, la coloration, est-ce que tu travailles à la main sur papier ou tu travailles par ordinateur?
Alexis Mandeville : Je travaille sur papier pour faire l’esquisse, mais pour encrer, je ne fais pas ça avec Photoshop, je fais ça avec GIMP. C’est un logiciel gratuit. Le monde trouve que ça n’a pas d’allure que je travaille encore comme dans les années 90. Moi, j’ai essayé Photoshop. Ça a l’air que Photoshop est super intuitif, mais c’est trop intuitif pour moi, je ne suis pas capable. Je numérise mes dessins que je fais à la mine, mes esquisses, puis un coup que c’est numérisé, je travaille avec ma tablette, puis je travaille avec un pen, comme dans les années 2000.
En terminant, c’est écrit « volume 1 » sur la couverture de ton album Visions. Est-ce que tu as un deuxième volume en préparation?
Alexis Mandeville : Supposé. Si je ne meurs pas avant. Je suis quelqu’un de bien anxieux. Quand j’ai fait le premier, je me suis dit « Crime, je vais essayer de tout mettre, d’un coup que je ne serais pas capable d’en faire après, d’un coup que je me fasse frapper par un char ou n’importe quoi. » Je me suis dit « C’est comme un peu mon testament ». Le premier, tu remarqueras, il est fait comme un source book de Donjons et Dragons. J’ai tout mis dedans. Ma préparation pour le volume 2 est presque terminée, je vais commencer à encrer après les Fêtes, ça, c’est certain. J’ai planifié que je voulais sortir le volume 2 pour 2025. On va voir, mais moi, c’est là-dessus que je travaille.
Et bien, j’espère qu’il ne t’arrivera pas d’accident de voiture, et qu’on aura la chance de lire la suite l’an prochain!
Visions, d’Alexis Mandeville. Publié aux éditions Front froid, 112 pages.