Voici venue la saison d’un festival carburant à la littérature mondiale depuis trois décennies. Du 18 au 28 septembre, le FIL, le Festival international de littérature, dévoile ses couleurs en forme de coups de cœur et de poing, au parfum d’encre et de liberté. En grande ouverture, l’œuvre Terrasses ou notre long baiser si longtemps retardé (Actes Sud/Leméac, 2024), de l’écrivain français Laurent Gaudé, qui compte son cercle d’adeptes à Montréal. Une mise en lecture de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin sur le fil sanglant des attentats du 13 novembre 2015 et de ses voix, entre trépas et survie du collectif.
Admiratif du verbe de Laurent Gaudé, le metteur en scène Denis Marleau, directeur artistique du Théâtre UBU, avait communié avec lui en 2018, avec Le Tigre bleu de l’Euphrate. Il renoue avec sur cette création qui, originellement, convie 17 acteurs et actrices.
Pour le FIL, Marleau adapte l’œuvre à une lecture en performance de treize personnages. Présenté en mai dernier sur les planches de La Colline – théâtre national à Paris, l’œuvre arrive au Québec avec un succès déjà annoncé, les représentations affichent complet.
Le rendez-vous couru du FIL et son invitation à la littérature dans tous ses éclats s’avérait idéal pour faire entendre le dernier texte de Gaudé selon le metteur en scène. Adapter Terrasses au format FIL permet à Denis Marleau de donner la possibilité aux Montréalais d’écouter ce texte qui a aussi été entendu en Belgique et en Suisse. Bouleversement émotionnel par la choralité et le jeu de chaque acteur.
Poétiser un monde en bascule
Lorsque les attentats surviennent en novembre 2015, Denis Marleau est à Montréal, mais il vivra ceux de Charlie Hebdo à Paris. Un lourd souvenir. À ses yeux, l’écriture de Laurent Gaudé met en relation une œuvre de fiction qui s’inscrit dans une réalité appartenant à l’Histoire. Une équation qui génère tension et émotion jusqu’aux recoins de la pensée humaine par ce voyage du « je ».
« On assiste avec Terrasses à une poétisation du moment tragique, puis à l’apparition du « nous » qui raconte la réalité intime et le moment de la bascule dans l’horreur », évoque-t-il, caractérisant le désir de Gaudé à amener une pensée de résistance et de foi en la vie, au-delà de la mort et de la tristesse. La magie en somme du théâtre qui permet cette rencontre de morts et de vivants.
Afin de hisser le chant choral de Gaudé, Denis Marleau et son acolyte Stéphanie Jasmin suivent la « polyphonie des voix », explique le metteur en scène.
« En quelques minutes, chaque victime de l’attentat de Paris sombre dans la noirceur. Il se passe tant de choses qui se juxtaposent dont les points de vue dans une multiplication racontée, une choralité… Tout va très vite! »
L’essentiel réside dans ces voix et l’économie des signes pour accroître la présence et la sensibilité de la tragédie humaine. « Il n’y a pas de décor en soi », poursuit Marleau, sur cette nuit parisienne à traverser avec des personnages qui se meuvent selon les moments de l’attentat. « Un labeur sur le sol, une instabilité du plancher qui se crevasse à la manière de plaques tectoniques. »