Spectaculaire, intense: dans La femme qui fuit, le texte d’Anaïs Barbeau-Lavalette, adapté pour le théâtre par Sarah Berthiaume est déclamé sur un ton haletant par un ensemble choral d’acteurs talentueux, et dans une belle mise en scène d’Alexia Burger. Les décors et la scénographie ajoutent à l’esthétique de la pièce. On est au Québec dans le monde de l’art, dans l’esprit du Refus global, à une époque de conquête de la liberté face à un catholicisme étouffant.
Pas moins de 18 artistes sur scène, de tous âges, dont une fillette magnifique qui tient son rôle de manière exemplaire. Le texte original du roman, si particulier dans son style incisif, vif et rapide, témoigne des émotions de l’autrice et cingle à travers les différentes voix des personnages.
On pourrait sortir un peu assommé par ce rythme intense et continu, sans réelles pauses. Mais la scénographie chorégraphiée, astucieuse dans ses trouvailles, ses surprises et son humour, permet de supporter et d’apprécier le récit ambitieux. Car il s’agit d’exposer et de tenter de comprendre une longue tranche de vie, celle qui permettrait d’accepter l’inacceptable, l’abandon qu’a vécu une mère de la part de sa grand-mère.
Suzanne Meloche, peintre et poétesse, a abandonné ses deux jeunes enfants âgés d’un et trois ans pour vivre sa vie en toute liberté. L’ainée, surnommée Mousse, Manon Barbeau, est la mère de la narratrice. Cette dernière, devenue adulte, enquête pour reconstituer l’histoire de cette grand-mère détestée pour avoir tant fait souffrir sa propre mère.
Et si les faits ne donnent pas raison à cet acte irréparable qui a dû faire souffrir aussi sa protagoniste, ils permettent d’éclairer tout un pan de l’histoire du Québec et des États-Unis dans les domaines de l’art, de la ségrégation raciale, des rapports hommes-femmes, de la place du catholicisme, mais aussi de la soif de liberté radicale.
La pièce fait aussi réfléchir sur le partage délicat qui existe entre s’accomplir dans sa vie et élever ses enfants. Cela se fait de concert la plupart du temps, heureusement. Mais l’exemple d’une femme qui a tranché de manière aussi brutale et qui a marqué l’histoire artistique, intellectuelle et politique du Québec mène à 1000 questions intéressantes pour le commun des mortels.
La femme qui fuit
Texte: Anaïs Barbeau-Lavalette
Adaptation théâtrale : Sarah Berthiaume
Mise en scène : Alexia Burger
Avec : David Albert-Toth, Alex Bergeron, Lucinda Davis, Catherine de Léan, Évelyne Gélinas, Justine Grégoire, Marie-France Lambert, Louise Laprade, Agathe Ledoux, Jean-Moïse Martin, Parfaite Ségolène Moussouanga, Olivia Palacci, Daniel Parent, Maxime-Olivier Potvin, Jacques Poulin Denis, Anna Sanchez, Anne Thériault, Zoé Tremblay-Bianco et Fabrice Yvanoff Sénat
Du 10 septembre au 5 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal