Près de 800 millions de personnes, dans le monde, n’ont pas accès à un réseau commercial de distribution d’électricité. Il est facile d’assumer que le fait de les « brancher » permettra de réduire la pauvreté, en plus d’améliorer la vie de ces gens. En fait, développer les infrastructures énergétiques pour connecter tous les habitants de la planète d’ici 2030 est l’un des objectifs de développement durable des Nations unies. Mais les avantages d’une telle démarche ne sont pas excessivement clairs, affirment des chercheurs.
En effet, des études menées à ce sujet n’ont pas permis d’établir clairement les avantages d’un raccordement de tous les petits villages éloignés au réseau électrique. À l’échelle nationale, affirme-t-on, un meilleur accès au réseau électrique est bon pour le PIB.
Mais à l’échelle locale, il y a lieu de croire que l’électrification a peu d’impact sur l’économie des villages, ou encore sur la qualité de vie de leurs habitants.
Une nouvelle recherche menée par des spécialistes de l’Université du Maryland et de l’Université de Chicago vient clarifier cette question, en révélant que la taille du village détermine l’avantage de l’électrification. Ces travaux, qui sont publiés dans le Journal of Political Economy, démontrent d’importants avantages à électrifier les villages de plus de 2000 habitants, mais aucun point positif lorsque l’on parle de hameaux de 300 personnes ou moins. Et entre les deux, les bénéfices seraient variables, écrivent les auteurs.
« Il s’agit d’un gigantesque investissement, de l’ordre de plusieurs milliards de dollars pour des gouvernements à faibles revenus, afin de continuer à développer leur réseau électrique. La question que nous posons dans cette étude est la suivante: est-ce que ces investissements vont sortir les gens de la pauvreté? Il semble que la réponse soit négative, du moins dans les très petits villages », soutient Louis Preonas, un économiste spécialisé en énergie et en environnement au sein de l’Université du Maryland, et l’un des coauteurs de l’étude.
« Cela peut sonner déprimant, mais nous cherchons à déterminer ce qui fonctionne, et cela pourrait ne pas être l’électricité. Cela pourrait être des cliniques, des écoles, ou encore des routes. Ou cela pourrait être l’électricité, combinée à plusieurs de ces choses », a poursuivi M. Preonas.
Pour comprendre les avantages de l’électrification en zones rurales, celui-ci a fouillé dans les données du très vaste programme d’électrification mené par le gouvernement indien et appelé Rajiv Gandhi Grameen Vidyutikaran Yojana (RGGVY).
Ce programme a permis de brancher, entre 2005 et 2011, quelque 17,5 millions de domiciles, soit environ 20% des familles qui n’étaient précédemment pas reliées au réseau électrique.
Des avantages pas si évidents
En utilisant des informations sur la consommation d’électricité dans les foyers avant et après le branchement, M. Preonas et sa collègue Fiona Burling, de l’Université de Chicago, ont estimé les impacts du fait de relier tous les domiciles indiens au réseau électrique.
Ils ont également analysé des données tirées du recensement à propos de milliers de villages répartis dans des centaines de districts, en Inde, en comparant des sujets tels que les dépenses des ménages, le taux de présence à l’école, la création de nouveaux emplois et la croissance des microentreprises avant et après l’électrification.
Les travaux ont démontré que dans les villages comptant 2000 habitants et plus, les dépenses des ménages avaient doublé après l’électrification, ce qui laisse sous-entendre une augmentation des revenus disponibles. On a également constaté une croissance marquée chez les microentreprises, ainsi que dans les emplois non agricoles, deux indicateurs du développement économique.
Cependant, dans les villages de 300 habitants et moins, on a plutôt noté une légère baisse des dépenses des ménages, et aucun changement dans les autres indicateurs de croissance économique.
Entre ces deux extrêmes, les villages de 1000 habitants, environ, ont rapporté une très légère croissance des dépenses des ménages, ce qui fait croire que le revenu disponible a quelque peu augmenté.
« Lorsque nous avons analysé les données, ce qui ressort, également, c’est que les gens ont démarré des microentreprises dans les grands villages », a encore indiqué M. Preonas.
« Vous pouvez imaginer que cette possibilité de vous lancer en affaires dépend vraiment de l’accès à l’électricité, et ce pour plusieurs raisons, que vous décidiez d’ouvrir une échoppe de tailleur ou un magasin, ou encore réfrigérer des produits ou des denrées, etc. »
Dans les plus petits villages, aucune augmentation du nombre de microentreprises n’a été recensée. Cela a son importance, notent les auteurs, puisqu’en 2022, la majorité des endroits qui n’étaient pas encore reliés au réseau électrique étaient des villages de petite taille où le coût de ce « branchement » par habitant était particulièrement élevé.
Il ne faut toutefois pas penser que puisqu’un village n’est pas lié au réseau électrique, il ne possède pas d’électricité. Les habitants y obtiennent souvent un accès limité à de l’énergie via des panneaux solaires ou des génératrices. Cela pourrait expliquer pourquoi le fait de connecter ces villages n’a pas permis d’augmenter le nombre de microentreprises ou fait augmenter les dépenses des ménages.
Selon les chercheurs, l’électricité n’est pas ce qui limite les entreprises ou les revenus des ménages dans ces villages. Ou, du moins, il ne s’agit pas du principal facteur.
Au dire de M. Preonas, dans de tels petits villages, la connexion au réseau électrique pourrait permettre d’obtenir d’autres améliorations de la qualité de vie qui sont plus difficilement mesurables aux yeux des habitants, même si les travaux de recherche n’étaient pas structurés de façon à déterminer ces facteurs.
« Mais en tant que stratégie de lutte contre la pauvreté, le branchement au réseau électrique n’offre pas vraiment de retour sur des investissements gouvernementaux particulièrement importants », a conclu le chercheur.