On peut généralement le voir aux commandes d’une flotte de vaisseaux spatiaux, ou en train de donner des ordres à des armées bataillant pour le contrôle de diverses planètes. Mais malgré ce que son nom « d’artiste » indique, Corey Loses ne fait pas que perdre; en fait, il consacre plutôt beaucoup de temps à créer.
Le jeune homme installé à Ottawa est en effet l’un des créateurs de Thrawn’s Revenge, l’une des modifications les plus populaires offertes pour le jeu de stratégie Star Wars: Empire at War. Et cette démarche créatrice, d’ailleurs, ne date pas d’hier.
« Lorsqu’Empire at War était sur le point de sortir, en 2006, j’ai cherché le titre sur Google, et j’ai découvert l’existence des mods pour la première fois. J’ai vu tous ces gros projets qui allaient offrir tout ce contenu supplémentaire. Puis, le jeu est sorti et les mods n’ont jamais été publiés; je n’ai pas vraiment compris ce qui se passait, surtout que j’avais approximativement 13 ans. Et donc, je me suis dit qu’ils n’avaient pas terminé leur travail, et que je pouvais le faire bien plus rapidement », a-t-il déclaré en entrevue.
« Et donc, j’ai commencé à chercher à comprendre comment le jeu fonctionnait, puis à apporter mes propres changements… et je n’ai pas fini ceux-ci en quelque 20 ans. Je suis encore là! », a-t-il ajouté en riant.
À la base, d’ailleurs, modifier Empire at War, développé par Petroglyph il y a bientôt 20 ans, « est relativement facile, du côté du code informatique », indique Corey. « Ce sont tous des fichiers XML et des cripts… Au début, il fallait décompiler des trucs, et donc se tourner vers des outils disponibles ailleurs. Mais dans l’ensemble, c’est assez facile, si vous êtes prêts à suivre un tutoriel ou deux, par exemple. »
« Mais la plus grosse difficulté, dans le temps, consistait à trouver des modèles (pour les vaisseaux, personnages, bâtiments, planètes, NDLR) et les textures. Il y a maintenant des outils gratuits pour l’application Blender, mais à l’époque, il fallait se tourner vers des outils liés à 3DSMax, un logiciel pour développeurs professionnels qui n’est pas prévu pour les hobbyistes. Il y avait certainement un niveau de complexité plus important. »
Un intérêt qui perdure
Ce qu’il faut aussi savoir, avec la communauté d’Empire at War, c’est que ceux qui aiment le jeu l’aiment vraiment. Il ne s’agit certainement pas du seul titre qui jouit d’une telle popularité, près de 20 ans après sa sortie – parlez-en aux passionnés de Doom, qui vient d’avoir droit à une nouvelle version officielle comprenant des cartes supplémentaires, même avec trois décennies au compteur –, mais pour un jeu vidéo se déroulant dans l’univers de Star Wars et occupant un espace dans le genre plus niché de la stratégie, Empire at War étonne par sa longévité.
« Il y a régulièrement cette impression que le jeu a encore une année devant lui avant de sombrer dans l’obscurité… Lorsque j’étais sur le point d’entrer à l’université, après cinq ans à travailler sur le mod sans avoir publié de version importante, les membres de de l’équipe de programmation s’étaient un peu éloignés les uns des autres; nous avons donc décidé de nous réunir, de terminer ce que nous avions en cours de préparation, de publier le tout, pour que le public y ait accès, et qu’ensuite, nous allions entrer à l’université, alors nous n’aurions pas le temps de continuer », a poursuivi Corey.
« Mais cela s’est poursuivi, avec des moments où nous disons que nous pouvons apporter un changement ici, un autre là… C’est toujours une question d’ajouter « un dernier changement » avant de cesser notre travail », ajoute-t-il, sourire en coin.
Celui qui diffuse des séances de jeu sur Twitch, ainsi que sur YouTube, jouit d’ailleurs d’une popularité suffisante pour que ces vidéos lui permettent de gagner sa vie. « Je joue à Empire at War, ou je produis des vidéos de lore à propos de Star Wars. Il y a donc une certaine connexion, ici, ce qui n’a pas été le cas pendant longtemps. »
Là encore, Corey semble penser que ce n’est toujours qu’une question de temps avant que cette popularité ne s’estompe. « J’ai toujours l’impression que c’est en déclin, mais qu’il reste encore suffisamment de passionnés qui demeurent intéressés », explique-t-il.
Et quelle est la raison de cet intérêt? « Je crois qu’il n’y a simplement pas eu quelque chose comme Empire at War depuis belle lurette… Il y a des jeux comme Stellaris qui s’en rapprochent, ou encore Sins of a Solar Empire, qui vient d’avoir droit à une suite. Mais il y a cette question de structure narrative qui est intrinsèquement présente dans Empire at War. Stellaris s’en rapproche, parfois, avec ses batailles spatiales. Pour ce qui est de Sins of a Solar Empire, il n’y a pas vraiment cette dimension où on veut s’emparer d’une planète, mais il y a d’abord une bataille dans l’espace, puis une invasion terrestre… Dans Empire at War, c’est facile à comprendre pour les spectateurs, contrairement à bien d’autres jeux du genre. »
Cette combinaison de batailles dans l’espace et au sol, qui s’appuie sur ce même mélange bien présent dans les films de la saga de science-fiction, fait partie intégrante d’Empire at War depuis les débuts du jeu, en 2006. Et les différents mods, dont Thrawn’s Revenge, ont bâti sur les structures existantes, en développant des mécaniques, en ajoutant des unités, des factions, des planètes…
Au coeur du jeu, cependant, il y a toujours cette notion d’aventure spatiale. Et le fait que Star Wars soit l’un des univers culturels les plus connus de l’histoire aide certainement. Qui n’a jamais voulu diriger sa propre flotte de vaisseaux spatiaux pour faire triompher la Rébellion, ou mener l’Empire à la victoire?
Comme le rappelle Corey, bien des jeux de grande stratégie vont ainsi « simplifier » les combats, y compris les invasions de différentes planètes, en affichant trop souvent deux armées de rectangles qui s’affrontent et font bouger une jauge. Alors que dans Empire at War, lorsqu’un gigantesque marcheur impérial s’avance vers vos positions faiblement défendues, impossible de ne pas se mettre dans la peau des rebelles défendant chèrement leur base dans L’Empire contre-attaque…
Mieux encore, Petroglyph, le studio qui a développé le jeu, continue de chouchouter sa création, notamment avec la publication de mises à jour permettant d’améliorer les performances du titre, ce qui a l’heur de plaire à la communauté créant (et explorant) des mods. Il n’en reste pas moins, mentionne Corey, que l’engin utilisé pour créer le jeu possède beaucoup de limitations, surtout près de 20 ans plus tard. Nonobstant ces obstacles, les développeurs trouvent fréquemment des façons de parvenir à leurs fins… quand leur ambition ne fait pas planter le jeu.
« Nous marchons toujours sur une mince ligne… À chaque nouvelle version (du mod, NDLR), nous rencontrons des problèmes, des limites », ajoute Corey.
Et parfois, ces limites, ces frustrations se font particulièrement sentir. C’est dans des moments comme ceux-là, confie le développeur, que certains membres de l’équipe peuvent décider de prendre une pause. Il s’agit d’un labeur d’amour, après tout.
De la stratégie pour aider à programmer… de la stratégie
Sans surprise, Corey affirme que les membres de son équipe et lui-même ont largement été influencés par des titres eux aussi liés au monde de la stratégie: Civilization, Total War – « particulièrement en ce qui concerne la façon dont nous concevons la carte de la campagne, dans Empire at War » –, et Age of Empires.
« J’ai beaucoup joué à AOE… je ne sais pas à quel point cela m’a mené vers le modding, ou vers les jeux de stratégie, mais cela m’a probablement marqué également », a ajouté Corey.
Ce dernier ne se voit cependant pas étendre l’ampleur de ses activités de programmation à d’autres jeux. « J’ai déjà assez de travail! », lance-t-il en riant.
Le trentenaire se montre toutefois intéressé par une éventuelle version de la série Total War, jusqu’à présent largement articulée autour de véritables périodes historiques, mais aussi de la franchise Warhammer, qui se déroulerait dans l’univers de Star Wars.
« J’ai entendu dire que Creative Assembly travaillait sur « quelque chose » lié à Star Wars; j’aimerais beaucoup un Total War dans cet univers, ou du moins un autre jeu 4X Star Wars (4X représentant les termes anglais expand, exploit, explore et exterminate, NDLR). Je pense que cela vendrait beaucoup de copies. À preuve, l’intérêt encore très marqué pour Empire at War. »
Pour l’instant, cependant, comme dirait un certain maître Jedi, « toujours en mouvement est l’avenir »…