À en croire le succès au box-office français, Alexandre de La Patellière et Mathieu Delaporte semblent avoir trouvé la recette du succès en modernisant presque aveuglément les classiques de la littérature française. Ayant fait leurs classes de la grande saga romanesque à la scénarisation pour les deux volets des Trois mousquetaires de Martin Bourboulon, ils s’attaquent cette fois à part entière à un autre classique de Alexandre Dumas: Le Comte de Monte Cristo, n’en gardant que la peau, en plastique, et se départissant rapidement de toutes formes de chair possible.
Issus du théâtre, de La Patellière et Delaporte ont connu un succès cinématographique fulgurant en adaptant leur propre pièce Le prénom, ce qui les a propulsés dans les bonnes faveurs du box-office, mais aussi des critiques et du public, allant jusqu’à rafler deux Césars pour cinq nominations.
Et si les deux hommes n’ont pas connu le même succès via Le meilleur reste à venir, comédie dramatique un brin plus douteuse, c’est quand même ensemble que les deux collaborateurs obtiennent leurs plus grands succès.
Est-ce parce que la vision de Bourboulon s’éloignait un peu trop de l’oeuvre d’origine, surtout du côté de la deuxième partie des Mousquetaires, que le diptyque n’a pas été le succès tant attendu?
Après tout, il fallait une certaine forme de volonté pour accepter qu’on nous présente ces héros littéraires d’antan comme des superhéros dignes de Marvel.
Et le nouveau film, dans tout ça? Il faut probablement admettre que cette clémence envers le Comte de Monte Cristo est probablement dûe aux attentes revues à la baisse.
Reprenant, des décors aux costumes, la quasi-totalité de l’équipe des deux autres productions, le directeur de la photographie québécois Nicolas Bolduc inclus, le duo pond une saga de trois heures qui est certainement faite du même bois, si ce n’est du même moule. Y compris d’impressionnantes libertés artistiques par rapport au récit littéraire d’origine.
Beaucoup se demandent pourquoi avoir visé le long-métrage, alors qu’un roman d’une telle magnitude aurait pu si bien servir à une minisérie, mais la réalité est qu’on sent ce désir pour le petit écran.
De fait, si le rythme fonctionne aussi bien et que le long-métrage parvient à garder l’intérêt de ses spectateurs avec autant de panache pendant une durée aussi imposante, c’est probablement parce que chacune de ses scènes semble conçue comme d’un cliffhanger de fin d’épisode. Il y a difficilement un moment, une réplique ou une révélation qui ne pourrait pas naturellement se faire accompagner de l’arrivée du générique, nous poussant à vouloir débuter le prochain épisode.
C’est aussi un peu le principe des chapitres d’un roman (quoique ceux-ci n’ont habituellement pas peur de développer plus intelligemment les descriptions et les détails), mais c’est quand même une décision singulière qui a le mérite (ou le désavantage, c’est selon) de miser sur l’efficacité et de camoufler probablement ainsi toutes les autres lacunes possibles.
Ainsi, tous ceux en quête d’action seront certainement fascinés par l’élaboration méticuleuse d’Edmond Dantès pour se venger des hommes qui l’ont mené à sa perte.
Pour les autres, toutefois, ce sera plus dur d’essayer de dénouer les intrigues cousues de fils blancs qui tiennent de peine et de misère tout ce qui se déroule tambour battant sous nos yeux, à grands coups de musique épique tonitruante.
De fait, on ne passe jamais trop de temps sur une situation ni sur des explications; on laisse les événements s’enchaîner à folle allure (n’en déplaise à quelques ralentis nécessaires pour le style et l’émotion, apparemment) et on fait des sauts dans le temps quand on pourrait par mégarde perdre le spectateur dans des moments qui pourraient sembler démunis de tout côté spectaculaire.
Même le fameux et attendu training montage en prison est réduit à sa portion congrue pour garder le rythme. Et que dire de ces personnages qui gagnent à peine quelques rides en 20 ans, ou encore quelques cicatrices?
Qu’importe, puisque les vedettes sont belles, les paysages sont paradisiaques et les décors et les costumes sont au diapason de ce qu’on se fait comme idée de ce genre de film d’époque à grand déploiement.
« Les Américains ne feraient pas mieux », diraient certains et, pour une fois, on leur donnerait raison, heureux que des personnages d’origine européenne parlent finalement la langue qui leur a été attribuée.
Certes, après que Bourboulon a fait jouer une brochette plus que prestigieuse dans Les trois mousquetaires, sauf peut-être pour la tête d’affiche Pierre Niney, on semble s’être contenté de quelques restes de comédiens recommandables comme Laurent Lafitte et la pauvre Anaïs Demoustier, prise avec ce rôle un peu indigne. On croise même Vassili Schneider (le frère des deux autres) et celui qui devient de plus en plus la nouvelle sensation de l’heure, Julien De Saint Jean.
Du reste, on se demandera si, à notre époque, une histoire de vengeance est toujours d’actualité. Certes, c’est un sujet chaud et on semble même y déceler des airs de John Wick, avec ces deux chiens menaçants, ses emblèmes mystérieux et ce somptueux manoir rempli de secrets, sauf qu’on a plus de mal à comprendre l’amertume d’un homme dont la plus grande frustration est que la femme de sa vie n’a pas voulu finir vieille fille après 20 ans d’attente.
Comme le public répond présent, on se dira que ce n’est qu’une facétie parmi tant d’autres, au même titre que tout l’or du monde peut apparemment acheter la plus grande technologie de pointe, comme les masques les plus Hi-Tech du 19e siècle que vous n’ayez jamais vu, prêts à bluffer tout le monde, sauf le coeur de l’être aimé, évidemment.
Le Comte de Monte Cristo possède les bases d’une savante comédie, mais on a choisi le sérieux, ici. Reste alors à chaque spectateur de décider s’il adhère ou non à l’ensemble, devant cet étalage compétent de talent, mais dont les chemins empruntés peinent souvent à convaincre véritablement, au-delà de ce mirage de bonne fortune.
6/10
Le Comte de Monte Cristo prend l’affiche en salle ce vendredi 16 août.