Souligner les erreurs commises fait partie de la vie de tous les jours. Et les journalistes le font constamment, puisqu’une partie de leurs tâches consiste à vérifier les faits et à s’assurer que les informations transmises sont exactes et véridiques. Mais que se passe-t-il si le public n’aime simplement pas être informé des corrections apportées?
Selon les chercheurs Randy Stein et Caroline Meyersohn, dont les travaux ont été publiés dans Communication Research, cet effet négatif associé au fait d’apporter des rectifications et des précisions est bel et bien réel. Dans le cadre de deux études, ces spécialistes affirment avoir constaté que le public fait généralement confiance aux travailleurs des médias lorsque ceux-ci confirment des affirmations, mais se révèlent plus méfiants lorsque les journalistes corrigent de fausses déclarations.
Comme l’indiquent les deux chercheurs, « certaines théories en linguistique et en sciences sociales laissent entendre que les individus comprennent intuitivement que les attentes sociales ne doivent pas être négatives. Lorsque l’on souligne les mensonges ou les erreurs de quelqu’un d’autre, cela comporte un risque de ressac ».
Au dire des auteurs de l’étude, cela s’explique par le fait que les corrections sont jugées selon des normes plus strictes que les confirmations. « Des tentatives d’infirmer des informations peuvent mener à des doutes sur l’honnêteté et les motifs d’un journaliste », écrivent-ils.
« En d’autres mots, si vous offrez une correction, vous gâchez un peu le plaisir de tout le monde, et cela pourrait avoir un impact négatif sur la façon dont vous êtes perçu. »
Des craintes et des soupçons
Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont utilisé de vrais articles; dans le cadre d’une première étude, les participants aux travaux ont lu une vérification détaillée qui venait corriger ou confirmer certaines informations liées à la politique ou à l’économie.
Par exemple, l’un de ces groupes s’est concentré sur une déclaration voulant que « les salaires des membres du Congrès américain ont bondi de 231% au cours des 30 dernières années » – ce qui est faux. Les chercheurs ont ensuite demandé aux participants d’évaluer la vérification des faits et le journaliste qui en était responsable.
Si ces individus faisaient généralement confiance aux journalistes, ils ont malgré tout exprimé des soupçons à propos de ce reporter qui venait démentir des informations, plutôt que les confirmer.
En fait, le taux de participants sceptiques du travail des journalistes est passé de 10%, lorsque des informations ont été certifiées comme étant véridiques, à 22%, lorsqu’il s’agissait plutôt d’un démenti ou d’une correction.
Les participants à l’étude ont aussi fait savoir qu’ils avaient besoin de davantage d’informations pour déterminer si ces journalistes apportant des correctifs disaient la vérité, comparativement à leur évaluation des journalistes qui confirmaient des informations.
« Dans le cadre d’une deuxième étude, nous avons présenté des affirmations publicitaires dont la véracité variait », ont poursuivi les chercheurs. Par exemple, certains participants ont lu un article, à propos d’une marque, où il était question de trucs visant à sauver du temps, en cuisine, mais qui ne fonctionnaient pas vraiment. D’autres ont lu un autre texte, cette fois à propos d’une marque offrant des trucs qui, eux, s’appliquaient et s’avéraient efficaces.
« Encore une fois, à plusieurs reprises, des gens ont estimé avoir besoin de plus d’informations afin de croire des articles soulignant des faussetés, en plus de moins faire confiance à ces journalistes », lit-on dans les travaux des scientifiques.
Une importante capitale
« Corriger des informations est particulièrement difficile, comme l’ont constaté plusieurs chercheurs et journalistes », écrivent les auteurs, avant de souligner qu’aux États-Unis, la confiance du public envers les médias est en chute libre depuis des décennies – un phénomène qui se produit aussi ailleurs dans le monde, y compris au Canada.
« La vérification des faits tente de combattre la désinformation et la mésinformation, mais nos travaux portent à croire qu’il y a des limites à l’aide que cela apporte réellement. Fournir un démenti pourrait faire croire que les journalistes sont simplement négatifs », affirment M. Stein et Mme Meyersohn.
« Les participants à nos travaux faisaient largement confiance aux journalistes lorsque ceux-ci confirmaient des informations. Et les gens sont certainement à l’aise avec des corrections, lorsqu’il s’agit d’erreurs ou de faussetés grossières qu’ils considèrent comme étant déjà erronées. Le défi, pour les journalistes, pourrait être de trouver une façon d’offrir des correctifs sans avoir l’air d’une personne voulant… corriger. »