Contrairement à certains arguments avancés par des dirigeants de droite, ainsi qu’une bonne part du commentariat politique, les étudiants étrangers ne sont pas les grands responsables de la crise du logement du frappe le Canada depuis plusieurs années, affirment les auteurs d’une étude récemment publiée par l’Université de Waterloo.
Les travaux en question, intitulés Making a Home in Canada: Learning from International Student Families, s’attaquent ainsi à l’argument voulant que ces étudiants étrangers, en venant s’inscrire dans des universités canadiennes, finissent par occuper des logements abordables qui pourraient, s’ils étaient plutôt occupés par des citoyens du pays, contribuer à diminuer le poids pesant sur le marché immobilier canadien.
De fait, écrivent les auteurs – les docteures Esra Alkim Karaagaç et Nancy Worth, ainsi que Saif Malhas et Matthew Gajewski –, ces étudiants internationaux et leur famille « font partie des clientèles les plus vulnérables », dans le contexte de la crise du logement.
Le rapport fait ainsi état de « problèmes multidimensionnels lorsque vient le temps de naviguer à travers les différents marchés locatifs, en raison d’un manque de connaissances et d’appuis, ainsi que de la très grande demande pour des logements de qualité ».
« D’un côté, les étudiants internationaux sont souvent mis de l’avant en tant qu’immigrants idéaux et futurs travailleurs qui viendront aider la main-d’oeuvre canadienne vieillissante; de l’autre, ils sont blâmés parce qu’ils accaparent des logements abordables, et empirent donc la crise du logement », écrivent les auteurs des travaux, avant d’ajouter que les familles de ces derniers sont encore moins visibles, aux yeux de la population en général, puisque « les étudiants internationaux sont souvent perçus comme des visiteurs temporaires ».
Le rapport, lit-on dans le document, s’articule autour des conditions immobilières d’étudiants internationaux dans la région de Waterloo, en Ontario, puisque celle-ci « abrite trois institutions universitaires importantes », « compte le plus vaste marché de logements étudiants au pays », et « aurait l’un des marchés locatifs les moins abordables de l’ensemble des villes universitaires canadiennes ».
Lorsque ces étudiants étrangers, souvent d’un âge plus avancé, s’installent au pays pour y suivre leurs cours, ils sont souvent accompagnés de leur famille, rappellent les chercheurs, ce qui vient amplifier le problème. En effet, « les bâtiments pour étudiants consistent bien souvent en des installations de style dortoir, destinées à des étudiants individuels, histoire de maximiser les profits ».
Et donc, « ce style d’habitation ne convient souvent pas aux étudiants internationaux installés avec leur famille, qui doivent alors se débrouiller dans un marché locatif déjà à sec ».
« En tant que nouveaux arrivants, il peut être difficile de fournir les documents nécessaires afin de signer un bail, notamment des références, les informations pour une vérification de crédit, un historique financier, ce qui ajoute une nouvelle couche de complexité lorsque vient le temps de trouver un endroit où vivre », précise le document.
Dans la région de Waterloo, où a été réalisée l’étude, on dénombre ainsi quelque 100 000 étudiants, étrangers et locaux; cette affluence a mené à la construction de 42% du marché canadien du logement étudiant, mais un parc immobilier « qui est majoritairement constitué de chambres individuelles ou de dortoirs ».
« Seulement 5% du parc immobilier régional consiste en des logements de trois chambres ou plus, mais 30% des ménages de la région comportent quatre membres ou plus », écrivent les chercheurs, qui s’appuient sur de précédents travaux pour souligner « l’existence d’une pénurie de logements destinés aux étudiants vivant avec des membres de leur famille, autant au sein du marché locatif de Waterloo que du parc immobilier prévu pour les étudiants universitaires ».
À qui la responsabilité?
Autre obstacle que les étudiants étrangers et leur famille doivent surmonter: qui est responsable d’assurer leur accès à des logements décents? « Partout au pays, l’accès à des logements abordables est un enjeu de plus en plus important; selon de récentes statistiques, un résident de Waterloo sur cinq habite dans un logement qui est considéré inabordable – un loyer qui dépasse 30% des revenus du ménage. Pour les ménages gagnant moins de 40 000 $ par an, 70% consacrent plus du tiers de leur revenu à se loger », lit-on dans le document.
De l’avis d’un chercheur interrogé par les auteurs de l’étude, plusieurs facteurs contribuent à la crise touchant les étudiants étrangers. Tout d’abord, avec la réduction du financement des universités, ces dernières s’appuient de plus en plus sur les étudiants venant d’ailleurs pour renflouer leurs coffres, ceux-ci payant des sommes bien plus importantes que les Canadiens.
Ensuite, certains gouvernements régionaux n’ont pas manifesté leur intérêt envers la création d’une stratégie pour faciliter l’accès au logement étudiant.
Et si, mentionne encore ce chercheur, des échanges au lieu à l’échelle nationale, les différentes provinces sont déjà aux prises avec une pénurie de logements en général, et les débats concernant les responsabilités partagées entre le fédéral et le provincial peuvent s’étirer indûment.
« Ultimement, même avec toutes ces structures, ce sont les étudiants qui sont responsables de se loger », ajoute le chercheur en question.
« Si le Canada veut accueillir des étudiants étrangers, qui contribuent à l’économie à la hauteur de 22 milliards de dollars par an, il est temps que la question du logement soit mieux réglementée, et que si vous payez des frais de scolarité, vous devriez avoir accès à des logements subventionnés », a renchéri un autre interlocuteur interrogé dans le cadre de l’étude.
Multiples recommandations
Pour corriger le vaste problème de la pénurie de logements étudiants, y compris les logements pour des étudiants étrangers arrivant au Canada avec leur famille, les chercheurs de l’Université Waterloo suggèrent plusieurs solutions:
- Offrir de l’aide et de l’information pour les étudiants étrangers avant qu’ils n’arrivent au pays, ce qui pourrait leur permettre de trouver un logement sans risquer d’être victimes d’arnaque ou de fraude;
- Fournir des données fiables sur le marché locatif, y compris le taux de disponibilité, les prix, le coût de la vie, etc.;
- Créer des communautés, chez les étudiants étrangers, afin de faciliter le partage d’information et le développement d’un sentiment de solidarité;
- Garantir l’accès à un logement pour les étudiants acceptés dans un programme universitaire;
- Faciliter la construction de logements spécialement destinés aux étudiants, ainsi que de coopératives d’habitation et de logements abordables;
- Enfin, améliorer les réseaux de transport collectif reliant les logements étudiants et les commerces et services des villes où ils se trouvent.