Même si l’attention médiatique est largement concentrée sur la bande de Gaza, où les combats se poursuivent entre le Hamas et les forces armées israéliennes, à la frontière nord de l’État hébreu, la tension continue de grimper entre Tsahal et le mouvement Hezbollah, allié au Hamas et à l’Iran. De fait, les échanges de tirs sont nombreux et la situation humanitaire sur le terrain est particulièrement mauvaise, affirme une organisation caritative oeuvrant dans la région.
« Nous avons des attaques de panique à tous les niveaux », lance tout de go Michel Constantin, directeur régional pour la CNEWA, l’Association catholique d’aide à l’Orient, en direct de Beyrouth, la capitale libanaise.
« Les gens ont peur qu’Israël attaque l’aéroport de Beyrouth. Nous nous attendons aussi à ce qu’un grand nombre de Libanais revienne au pays pour l’été, alors cela complique les choses », a-t-il ajouté dans une entrevue accordée à Pieuvre.ca.
M. Constantin le précise d’ailleurs: les affrontements entre le Hezbollah et Israël, qui se sont déjà livré plusieurs guerres, n’ont rien de sporadique: « C’est une mini-guerre! »
« Les tirs de roquettes et les ripostes se produisent tous les jours! »
-Michel Constantin, directeur régional de la CNEWA au Liban
« Mais il semble y avoir des règles », a-t-il ajouté. « Lorsque le Hezbollah attaque une base militaire israélienne, Israël riposte en attaquant une base du Hezbollah. Ce n’est pas contre des civils. C’est habituellement comme un match de tennis. C’est comme ça depuis les neuf derniers mois », soit depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier.
Ce « respect », en quelque sorte, semble avoir été fragilisé par le tir d’une roquette contre un terrain où se tenait un match de soccer: 12 enfants ont été tués. En riposte, Israël a bombardé une banlieue de Beyrouth, et affirme avoir tué un dirigeant du Hezbollah.
Respect des règles ou non, souligne M. Constantin, pour les civils, principalement ceux qui vivent près de la frontière avec Israël, au sud, la situation est particulièrement difficile. « Je sais qu’il y a aussi des déplacés en Israël, également, mais ici, au Liban, quelque 100 000 personnes ont dû être évacuées jusqu’à présent, soit de 25 000 à 30 000 familles. Et 85% d’entre elles ne peuvent louer un autre logement, faute de moyens. Elles vivent avec d’autres familles, des proches, etc. », a-t-il précisé.
Et la situation sécuritaire affecte aussi les écoles: ainsi, 44 d’entre elles ont dû fermer leurs portes en raison des risques pour les élèves. « Maintenant, le gouvernement prévoit offrir des cours en ligne pour la prochaine année scolaire. Ces 44 écoles accueillaient environ 11 000 enfants », a poursuivi M. Constantin.
De ce nombre, « 2000 sont au niveau secondaire, et doivent fournir des documents à temps pour participer aux examens obligatoires, sinon, ils ne pourront pas entrer à l’université », chose qui est évidemment impossible en raison des tensions.
Des impacts économiques majeurs
L’évacuation de plusieurs villages dans le sud du Liban, face aux échanges de tirs entre le Hezbollah et Israël, signifie aussi que les terres agricoles de la région, bien souvent la seule source de revenus des ménages à faible revenu qui y vivent, ne peuvent être exploitées.
De fait, indique le directeur régional de la CNEWA, ce ne sont pas moins de « 12 millions de mètres carrés d’oliveraies qui dont on ne récupèrera pas les fruits, cette année ». Et puisqu’une récolte d’olives nécessite deux années de pousse, les producteurs locaux se retrouvent plongés dans une situation économique particulièrement complexe.
« Certaines estimations du coût de cette mini-guerre, jusqu’à présent, tournent autour de 1,7 à 2 milliards de dollars américains. Et le pays est au coeur d’une très grave crise économique; les banques ont gelé les comptes, le gouvernement a cessé de payer les services assurant le filet social », ajoute M. Constantin.
Comment l’État peut-il alors aider ses citoyens déplacés par les combats s’il ne peut même pas assurer ses services fondamentaux? « C’est très simple: le gouvernement ne fait rien du tout », martèle le directeur régional.
Dans ce contexte, la CNEWA, tout comme d’autres organismes humanitaires, fournit des paniers de denrées sur le terrain, mais n’arrive pas à aider tout le monde, faute de moyens. Michel Constantin reconnaît d’ailleurs qu’après des années de crise au Liban, « il existe une fatigue chez les donateurs ». Pire encore, « le Liban est l’un des pays les plus chers du Moyen-Orient: le seuil de pauvreté, pour une famille de quatre ou cinq, est estimé à un montant de 800 à 1000 $ US, par mois ».
« Imaginez pour 30 000 familles! »
La guerre à Gaza occupe une place importante dans la tête des donateurs, reconnaît M. Constantin, qui évoque aussi, en Europe, l’attention portée à la guerre en Ukraine, qui fait rage depuis plus de deux ans. Difficile, dans ces conditions, d’obtenir les fonds nécessaires pour offrir le strict minimum aux déplacés.
Et si jamais le Hezbollah et Israël entraient en « guerre ouverte », les employés de la CNEWA seraient-ils évacués vers d’autres pays, afin de les mettre en sécurité?
« Tous les employés de la CNEWA, au Liban, sont des travailleurs locaux. Alors, nous ne quitterions pas nos familles pour fuir. Nous resterions avec nos enfants, avec nos proches. Et donc non, nous n’avons pas de plan pour évacuer », mentionne Michel Constantin, d’un ton résigné.
« Si jamais une guerre plus large éclate, nous lancerons un appel à l’aide à l’échelle mondiale, car nous aurons besoin de toutes les ressources nécessaires pour aider la population sur le terrain. »
-Michel Constantin, directeur régional de la CNEWA au Liban