Le réchauffement du climat pourrait produire des feux de forêt plus fréquents et plus intenses, à l’instar de ceux de 2023. Or, le lointain passé des forêts boréales canadiennes pourrait nous aider à comprendre comment les écosystèmes ont réagi à des événements aussi dramatiques.
En reconstruisant 12 000 ans d’histoire d’une zone représentative de ces forêts, une récente étude relève un étonnant parallèle entre les incendies de forêt contemporains et ceux survenus il y a 7000 ans.
« Nous allons voir de plus en plus de pertes au sein des écosystèmes forestiers. Il va falloir réaménager nos forêts si on veut qu’elles deviennent plus résilientes aux feux », soutient le chercheur en modélisation et productivité forestière au Centre de foresterie des Laurentides, Martin Girardin.
Il y a 7000 ans, les feux fréquents ont réduit l’étendue de la forêt boréale et ont eu un impact sur l’utilisation des terres.
Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés à la région du Lac des Bois, un grand système d’eau douce situé aux frontières de l’Ontario, du Manitoba et du Minnesota.
Ils ont analysé des carottes sédimentaires au fond de six lacs pour suivre l’évolution, après la glaciation, de cette zone hémiboréale, qui marque aujourd’hui la limite sud de la forêt boréale d’Amérique du Nord.
« La quantité de charbon nous parle de l’histoire des feux. Et le pollen nous raconte l’évolution de la végétation et de l’avancée d’espèces plus tolérantes à la chaleur, comme les pins », ajoute le chercheur.
Son équipe y a retracé les différents écosystèmes, notamment des forêts mixtes avec des savanes, des prairies et des zones humides.
Un changement étalé sur 2000 ans
Or, il y a environ 7000 ans, un changement décisif serait survenu lorsque la forêt boréale – semblable à celle qu’on connaît aujourd’hui – serait devenue un écosystème de chênes et de pins stériles. Ce changement aurait duré environ 2000 ans, avant de revenir à son état « naturel » constitué d’épinettes, de sapins, de bouleaux et de peupliers faux-tremble.
Les chercheurs remarquent une diminution des apports en pollens dans les lacs. Les chênes et les graminées deviennent dominants.
« Les brûlages étaient fréquents et il s’est produit une hausse progressive des températures annuelles moyennes, d’environ 2 degrés. Ce climat plus chaud et plus sec a modifié l’écosystème d’alors de manière importante », explique encore M. Girardin.
Les chercheurs se sont aussi intéressés à la taille de la population humaine de l’époque, grâce à des bases de données archéologiques. Ils notent que leur présence reflète les fluctuations des incendies de forêt, c’est-à-dire qu’elle diminue avec l’augmentation de la fréquence des incendies.
Les peuples de l’époque étaient même absents alors que les feux se faisaient particulièrement intenses.
Aujourd’hui, dans cette zone mitoyenne de la forêt boréale, les incendies plus fréquents posent le problème du renouvellement naturel de certaines espèces (comme le pin rouge) au profit de celles plus adaptées aux feux (comme le pin gris).
La hausse de l’aridité et la réduction de l’étendue méridionale de la forêt boréale, observées avec le réchauffement climatique, montrent qu’il va falloir revoir les aménagements forestiers de cet « écotone » , cette zone de transition écologique entre deux écosystèmes.
Pour limiter les impacts climatiques liés aux feux, il faudra penser à des aménagements favorisant moins la propagation des incendies (bandes coupe-feux, corvées de nettoyages, etc.) et miser sur le réensemencement.
« La particularité de cette zone est d’être à la frontière de deux milieux et donc, d’être très diversifiée dans sa biodiversité : landes, feuillus, conifères. Et c’est là qu’on verra les principaux changements », note le chercheur.
Une étude précédente retraçant près d’un siècle de feux de forêt —entre 1920 et 2010— montrait que la densité humaine n’augmentait pas les risques de feux. Le niveau des brûlages dans l’est du continent nord-américain était en effet plus bas pendant ce siècle.
Une étude opportune pour notre époque
L’étude combine des données paléo-écologiques empiriques inédites (enregistrement de charbons et pollens de sédiments lacustres), des sorties de modélisations paléo-climatiques et l’analyse d’une base de données archéologique, commente le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie intégrative de la flore nordique de l’UQAR, Guillaume de Lafontaine.
Et le « sujet de l’étude est particulièrement opportun. Dans un contexte d’une prise de conscience mondiale de l’impact des changements globaux et des récentes saisons de grands feux, cette étude aborde justement l’interaction entre les feux, la végétation, le climat et la taille des populations humaines, dans une perspective historique », ajoute-t-il.
Il s’interroge toutefois sur la généralisation des résultats à l’ensemble de la zone hémiboréale : « la limite sud de cette zone est loin d’être uniforme. Plus à l’est, la prairie est remplacée par la forêt tempérée (par exemple, les érablières et hêtraies). Or, les feux sont très peu fréquents dans la forêt tempérée, plutôt dynamisée par les chablis ».
L’expert note aussi que les inférences sur le climat et la population humaine ne sont pas faites à la même échelle spatiale que pour les feux et la végétation.
Guillaume de Lafontaine ajoute que « l’approche consistant à reconstituer l’histoire des feux à partir des charbons provenant des sédiments lacustres demeure relativement jeune et on connaît encore assez peu l’origine et les processus qui mènent à l’accumulation du charbon enfoui dans les sédiments. »
Cette recherche ouvre donc la porte à d’autres: « Par exemple, on peut se demander en quoi l’accumulation de charbon dépendra du type de combustible, de l’érosion, de la taille du feu, de la distance du feu. »