Quelle franchise purement québécoise peut se vanter d’avoir quatre chapitres (pour l’instant) au compteur? C’est pourtant cet exploit plutôt inusité, encore plus considérant que la chose est essentiellement basée sur sa propre vie, que le cinéaste Ricardo Trogi a ajouté à son palmarès. Avec 1995, il se permet même de revitaliser un peu l’entreprise.
Bien que l’ensemble est encore à la fois purement égocentrique et anecdotique, il y a néanmoins quelque chose de fascinant à voir Trogi évoluer lentement, mais sûrement en tant que cinéaste (devant et derrière la caméra) dans sa propre série de films autobiographiques.
Pas nécessairement dans le style, puisqu’il mise comme toujours sur l’efficacité plutôt que sur la poésie, mais bien dans le discours qui, tout en reprenant plusieurs des éléments clés de son propre microcosme, essaie toujours plus de se départir de l’univers que Trogi a créé.
Si l’exercice était déjà notable avec le précédent volet, qui troquait les banlieues de Québec pour les lieux cartes postales de l’Italie, avec ses élans plus artistiques en noir et blanc, ce l’est plus que jamais en abordant un événement non négligeable de la carrière de M. Trogi lui-même: la Course destination monde (renommée simplement « La Course » pour l’occasion, faute de droits).
Est-ce suite au changement de productrice ou de distributeur? Marie-Claude Poulin a ainsi succédé à Nicole Robert, seulement productrice exécutive cette fois, qui est derrière des films comme le Rebelle de Kim Nguyen qui s’est rendu aux Oscars, le Café de Flore de Jean-Marc Vallée et Le plongeur de Francis Leclerc. Ou est-ce plutôt face à cette maturité évolutive qui vient tout naturellement avec l’âge?
Surtout que Trogi ne s’est jamais caché d’aspirer à plus, avec cet exercice meta, que de simplement en ressortir le côté loufoque, comme le fait Larry David avec son Curb Your Enthusiasm, ou Martin Matte et Les beaux malaises.
Si Spielberg peut se permettre The Fabelmans, pourquoi pas? Qu’importe au final, puisque c’est le premier volet de la « saga Trogi » qui semble délaisser finalement la quasi-totalité des futilités de l’enfance et de l’adolescence pour raconter quelque chose de plus singulier, de plus personnel, et qui ne semble pas piger dans tous les coming-of-age ou road-movie de ce monde avec référents plus spécifiques en extra.
Est-ce que tout fonctionne? Pas nécessairement. Est-ce que tout est vrai? On en prendra et on en laissera, mais il y a quelque chose de plus pur dans cette manière de puiser avec plus de mélancolie que de nostalgie dans sa propre intimité, de se remettre plus que jamais en question.
De fait, c’est le premier chapitre qui se concentre presque à part entière au personnage de Ricardo Trogi, souvent laissé seul à lui-même, sans jamais s’empêtrer trop longtemps de personnages secondaires pour garnir le paysage. Même la narration, plus insistante que jamais, se fait plus discrète à mesure que le film progresse, comme si le silence était souvent plus efficace pour faire ressentir les émotions recherchées.
Le montage de Yvann Thibodeau, épuré, laisse également beaucoup le film respirer, l’empêchant, malgré qu’il a la plus longue durée du lot, de paraître trop long.
Bien sûr, le personnage de la soeur du personnage principal est toujours autant sous-exploité, Sandrine Bisson en fait encore des tonnes dans le rôle de sa mère Claudette et on aurait certainement voulu que les quelques filons que Trogi semble vouloir exploiter auprès de son père soit davantage creusé (il y a un flash et un plan super intéressant impliquant un vieux vinyle), d’autant plus que Claudio Colangelo y est plus touchant que jamais.
Sauf que voilà, le film semble aussi comprendre que ses ambitions étaient probablement assez démesurées et c’est plusieurs oeuvres qui semblent se faire compétition ici, tout comme plusieurs personnalités de Trogi qui semblent essayer de gagner le front, et pas toujours les plus intéressants.
C’est là que le film se perd, malheureusement, et que malgré les nombreux angles qu’il exploite, il ne parvient jamais à véritablement transcender son propre volet, ni sa propre série. Même la fameuse Course, qu’on essaie continuellement de nous faire avaler, finit par ne plus devenir importante (ne vous attendez pas à savoir s’il a gagné ou non son édition).
On veut encore donner dans le divertissement populaire et accessible et on y va d’un interminable segment sur la bureaucratie. On veut aussi montrer le côté artiste de l’homme, mais lorsque cela arrive enfin, c’est un peu plus dur à croire, surtout que l’épilogue semble s’excuser de ne pas avoir persisté dans cette voie.
Plus bizarre encore, on ne met jamais véritablement en contexte pourquoi à mi-parcours, le même Ricardo qui harcèle sa fausse blonde à coups de cartes postales insistantes et qui a envie de coucher par vengeance avec toutes les filles du monde grâce à la popularité qui l’attend, a soudainement plus que jamais à coeur le sort et la condition des femmes du monde. On aurait certainement eu beaucoup à gagner de passer plus de temps sur le concept de l’ethnocentrisme d’ailleurs.
N’empêche, 1995 fait le travail. Et avec de petits détails non négligeables ici et là, même sous-développés, le film parvient à justifier une certaine pertinence. Combien de temps suivrons-nous Trogi dans ses aventures? Dur à dire, mais pour l’instant, on s’accroche avec lui et on se surprend à s’intéresser à comprendre pourquoi il est devenu qui il est devenu.
On vous invite également à rester jusqu’à la fin du générique pour y voir un court extrait d’archive d’un des films reproduits dans le long-métrage.
6/10
1995 prend l’affiche en salle ce mercredi 31 juillet.