L’intensification du trafic maritime dans le Golfe du Saint-Laurent pourrait compromettre l’affluence des moules bleues dans nos eaux, alors même que l’aquaculture tente de remplir les assiettes des gourmets de fruits de mer avec ce petit mollusque filtreur.
Une récente étude québécoise révèle en effet que les bruits maritimes nuisent à la fixation et au bon développement des larves de bivalves. Le stress acoustique joue aussi sur l’alimentation des moules adultes.
« Les bruits produits par les navires et le commerce nuisent à l’identification de leur habitat et à la croissance des moules. Dans un environnement peu satisfaisant, la larve (ou « naissain ») va continuer à nager et pourra mourir d’épuisement », résume le professeur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, Réjean Tremblay.
D’abord démontrées en laboratoire, les conséquences des bruits maritimes sur les mollusques s’observent également sur le terrain, selon cette recherche menée à Saint-Pierre-et-Miquelon, archipel français situé au sud de Terre-Neuve.
Une première étude de la même équipe, lancée en France, voulait répondre aux inquiétudes de pêcheurs de pétoncles de Bretagne devant la construction d’éoliennes marines au large des côtes.
Différents types de bruits avaient alors été étudiés —des sons de foreuses, de battage de pieux et de bateaux aux longueurs d’ondes différentes et aux basses plus profondes. Les résultats en laboratoire ont montré que certains sons, les plus réguliers et les plus aigus, pouvaient avoir une grande influence sur l’installation des moules bleues dans des habitats inadéquats.
L’équipe du Pr Tremblay s’est interrogée, dans cette deuxième étude, sur l’impact des nuisances sonores sur l’aquaculture et la mytiliculture —l’élevage des moules, particulièrement la moule bleue (Mytilus edulis). « Ici, nous avons surtout du bruit lié au trafic maritime. La fréquence et l’intensité des nuisances sonores ont un impact sur toutes les espèces», relève le chercheur.
Il s’agit d’une espèce abondante, installée dans ce qu’on appelle la zone intertidale, soit celle des marées. Une zone bruyante en raison des vagues, dont le son particulier guide la moule vers le meilleur habitat où elle va se fixer lorsqu’elle passe à l’âge adulte.
Ce mollusque, en plus d’être consommé par les gourmets, a un rôle écologique important, présente le chercheur: « une grande filtreuse d’eau, près de 5 litres par heure, avec une grande capacité de contrer l’eutrophisation », ce processus par lequel des nutriments s’accumulent dans un milieu aquatique et entraînent la croissance des algues.
Nuisances sonores maritimes
Le bruit du trafic va nuire au développement de la larve tout comme au mécanisme d’identification du bon habitat, lorsque c’est le temps de se fixer. Dans la zone de marée, les moules s’installent sur du substrat rocheux — ou bien sur les piliers des ports et les coques des bateaux — dans une zone peu profonde où elles peuvent être exposées à l’air en fonction des vagues. Elles vont s’y fixer et y rester jusqu’à leur mort.
Elles reconnaissent l’environnement adéquat par les bruits, à l’aide de leur appendice auditif, le statocyte —« une sorte d’oreille, une petite boule de tissu pleine de cils ».
L’exposition à un milieu sonore inadéquat entraîne donc une dépense énergétique supplémentaire pour la larve, en retardant sa fixation. Cela pourrait nuire aussi à son développement neurologique et à son alimentation, une fois adulte.
« La moule a le réflexe de se refermer au son de chaque bateau —comme elle le fait au son des vagues pour éviter de se dessécher. Donc, plus il y a de navires, moins elle va s’alimenter», note le Pr Tremblay.
Les chercheurs ont relevé des impacts majeurs lors de l’établissement et de la métamorphose, c’est-à-dire lorsque les larves se fixent et deviennent des adultes. « C’est un moment charnière qui demande beaucoup d’énergie », insiste le chercheur.
Dans la dernière décennie, les nuisances maritimes ont été davantage étudiées chez les mammifères marins. Mais elles sont reconnues comme « une menace potentielle pour la conservation et le bien-être des espèces marines », depuis la conférence des Nations unies de 2017 sur la conservation des espèces migratrices.
La mesure de ces impacts acoustiques s’appuie sur un réseau de micros sous-marins (ou hydrophones) et sur la cartographie des niveaux sonores de l’Atlas acoustique du Saint-Laurent. Les chercheurs ont comparé deux milieux particulièrement contrastés, le port industriel de Saint-Pierre et la zone de Miquelon, où le bruit de navigation est plus discret.
L’équipe a dû faire aussi le tri entre les différents bivalves. Outre la moule bleue, ils ont recueilli des petits clams, des hiatellas et divers gastéropodes. « La petite hiatella est la plus sensible aux bruits; on constate chez elle aussi la diminution du taux de fixation », ajoute le chercheur.
Dans une prochaine étape, l’équipe va s’atteler à identifier des seuils de bruits, à partir desquels ceux-ci commencent à avoir un impact, tout dépendant du tonnage des bateaux. Les chercheurs vont aussi s’intéresser à d’autres espèces commerciales: des crustacés, tels que les homards. « Tout l’écosystème pâtit de la hausse de l’intensité du trafic maritime et pour conserver les espèces choisies, il faudra tenir compte de la hausse du bruit », conclut le Pr Tremblay.