Bien avant l’improbable, mais très anticipée suite dénommée Twisters, bien avant son superbe Minari qui lui a ouvert bien grandes les portes d’Hollywood après un passage remarqué aux Oscars, disons que le cinéaste américain d’origine coréenne Lee Isaac Chung était déjà promis à une belle carrière lorsque son très beau Munyurangabo a été sélectionné à Cannes pour la section Un Certain Regard. Retour sur ses premiers films.
Doté d’un style et d’une poésie distincts principalement basés sur l’exploration de ses personnages et de ses univers, tout en leur laissant toute la liberté possible pour y vivre et évoluer, Lee Isaac Chung s’est intéressé dès ses débuts à la solitude des uns et des autres qui unit et sépare tout un chacun.
Munyurangabo (2007)
Choix audacieux, pour un premier long-métrage, d’offrir le premier film en kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda; c’était déjà, d’ailleurs, pour le cinéaste, de s’inspirer de ses propres expériences. Bien que le récit s’intéresse aux destins de deux amis, dont un orphelin rwandais suite au génocide, le film s’est tourné en toute modestie avec des gens du coin tous non professionnels, le tout après un passage au pays, lorsque Chung y a accompagné sa femme.
Mêlant déjà diverses formes d’arts, dont un goût marqué pour la poésie et la musique, le film se joue d’errances et d’hésitations et mise beaucoup sur les performances dévouées de ses interprètes, le tout capté sur un magnifique 16mm.
Oeuvre hypnotique, on se laisse prendre au jeu à mesure que le destin rattrape l’ensemble et que l’histoire s’y fait de plus en plus déchirante et inévitable.
À noter que l’édition DVD inclus une fascinante et très humble piste de commentaires audio de Chung, qui de son propre aveu ne sait pas trop si l’exercice est vraiment nécessaire, surtout qu’il a été enregistré plus de 10 ans après la sortie du film, alors que la majorité de ses révélations personnelles tout comme de ses secrets de production sont fort intéressants, et un captivant clip des dessous du tournage d’une des scènes, ce qui laisse réaliser qu’il dommage de ne pas en avoir plus.
De voir le réalisateur avec une équipe aussi modeste, tout comme de le voir réaliser via un interprète pour se faire comprendre, n’est rien de moins que fascinant. Surtout en se disant que plusieurs décennies plus tard, le cinéaste se retrouverait aux commandes d’une mégaproduction supervisée notamment par Spielberg.
Par ailleurs, Chung finira par ramener le Rwanda derrière sa lentille pour y co-réaliser le documentaire I Have Seen My Last Born, seul projet en près de 10 ans avant un retour en force, où il présentera au monde entier son film le plus accompli en carrière: Minari.
7/10
Lucky Life (2010)
Ce qui apparaît au premier abord comme un virage à 180 degrés suite à son premier film, finit par se montrer comme un laboratoire d’exploration sur les possibilités et les capacités du septième art. Plus professionnel et léché – c’est d’ailleurs le seul de ses trois premiers films où il n’a pas signé la direction photo –, Chung y démontre un véritable flair visuel et sonore pour continuellement trouver de fascinantes manière et des angles inattendus d’approfondir un récit plutôt mince face à la gravité de son sujet (la mort d’un proche) et sa temporalité qui s’y déploie en deux temps.
Fait étonnant, plusieurs des comédiens avec qui il fait affaire ne font pas nécessairement carrière en cinéma ensuite. Cela se fait davantage sentir ici alors que, bien que compétents, ses interprètes n’arrivent peut-être pas à bien définir ces personnages plutôt insaisissables, pris entre leurs nombreux états d’êtres.
À prendre ou à laisser, de s’inspirer librement de la poésie de Gerald Stern peut à la fois paraître comme inspirant tout comme handicapant.
6/10
Abigail Harm (2012)
Premier film avec des acteurs professionnels (le réalisateur renouera d’ailleurs avec Will Patton pour Minari), le tout mise surtout sur l’imposante performance de Amanda Plummer, la fille de feu Christopher Plummer, mais aussi la fameuse Honey Bunny du Pulp Fiction de Tarantino. Aussi dévouée corps et âme qu’à son habitude, l’actrice s’immisce à fond dans ce récit complètement immergé dans cet univers qui s’approprie une vieille fable coréenne intitulée The Woodcutter and the Nymph.
Encore près de la poésie via une envoûtante narration en voix off, c’est une autre proposition qui ne plaira pas à tous puisque son rythme chancelant observe plutôt qu’il ne raconte, tout en ne donnant que bien peu de réponses.
Cela dit, malgré ses qualités techniques évidentes et un amour évident de l’art et du cinéma, le film souffre encore de plusieurs des bémols habituels du cinéaste qui à mi-parcours se perd probablement trop dans ses idées et s’égarant dans ce qu’il veut raconter.
Le long-métrage apparaît donc encore comme un laboratoire expérimental qui a, par moments, des airs de court-métrage étiré, qui ne fait que renforcer que ces trois films n’auront que mis la table pour le film qu’il offrira plus tard.
6/10
Une décennie plus tard
Alors que Lee Isaac Chung est de moins en moins en contrôle de ses projets cinématographiques, ces trois premiers échos d’un univers singulier marquent à la fois le début et la fin d’une époque. Une trilogie non officielle de films tous co-écrits avec Samuel Gray Anderson (qu’il devrait retrouver dans le premier film de ce dernier, en tant que directeur photo), qu’il a produit sous sa bannière Almond Tree Films et dont il a assuré à la fois le montage et la réalisation.
Il faut dire que la longue pause n’est pas banale, Chung étant également impliqué dans l’enseignement et son mentorat de cinéastes rwandais; il a pratiquement considéré prendre sa retraite du cinéma… avant de trouver la reconnaissance internationale.
Sauf qu’il s’est enlevé beaucoup de pression. En effet, avec Minari, c’est son premier et seul scénario complet jusqu’à présent (inspiré d’ailleurs de sa propre existence), dans le cadre d’un film dont il s’est seulement entiché de la réalisation, laissant le montage et le reste à d’autres joueurs. On trouve toutefois, à la production, des noms importants tel que Brad Pitt et sa partenaire Dede Gardner, en plus de son acteur principal Steven Yeung.
Enfin, pour Twisters qui prend l’affiche cette semaine, il ne signe que la réalisation.
À noter qu’entre-temps, il a également réalisé un épisode de la troisième saison de la série The Mandalorian. Touche-à-tout, me direz vous?
Les trois premiers films de Lee Isaac Chung sont offerts en DVD et version numérique via Film Movement, en coffret ou séparément. On regrette toutefois l’absence de sous-titres et des courts-métrages du réalisateur.