Pour protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de la grossesse et diminuer les accouchements précoces, un projet pilote sera lancé cette année en Gaspésie. Il suit une récente étude québécoise sur le dépistage précoce de la prééclampsie, une forme grave d’hypertension qui apparaît pendant le deuxième trimestre.
La prééclampsie peut mener à un accouchement prématuré en raison des risques pour la santé de la mère et de l’enfant – c’est une cause majeure de décès de la mère dans les pays en voie de développement.
La méthode « Prédiction » identifiera les trois quarts des femmes enceintes à risque de prééclampsie dès le premier trimestre, selon la récente étude québécoise.
«Pour 77% des femmes enceintes, cela vient confirmer la manifestation d’un problème d’implantation du placenta dans l’utérus. Cela prive le fœtus de sang et occasionne des dommages aux organes de la maman », explique Emmanuel Bujold, titulaire de la Chaire de recherche Jeanne-et-Jean-Louis-Lévesque en périnatologie de l’Université Laval et coauteur de l’étude.
Lorsque le placenta ne s’implante pas correctement, le sang circule moins bien vers le fœtus. Et le corps de la mère va tenter de compenser en augmentant sa pression artérielle, ce qui nuit au bon fonctionnement de ses reins, de ses poumons et de son cerveau.
En marge de cette « hypertension gestationnelle gravidique», que l’on détecte aussi avec la présence de protéines dans les urines, les autres symptômes vont des maux de tête aux douleurs au ventre, en passant par l’enflure des mains et du visage et des problèmes de vision.
Dans sa forme sévère, la prééclampsie affecte aussi le fonctionnement des organes de la mère comme le foie et les poumons, au point de nuire au fœtus. L’éclampsie proprement dite se caractérise, elle, par des convulsions généralisées chez la mère et pouvant entrainer le décès.
La méthode mise de l’avant dans l’étude a été développée au Royaume-Uni et elle prend en compte les informations sur la mère (obésité, hypertension, âge, s’agit-il de la première grossesse, etc.) et des marqueurs physiques, comme le niveau de protéines dans le sang et la « pulsatilité » de l’artère utérine – la mesure fine de la circulation du sang entre l’utérus et le placenta.
« Avec un seul marqueur, on pourrait se tromper, mais pas avec plusieurs. Nous pistons les signaux du fœtus dans le sang de la mère quand il n’est pas bien nourri et l’adaptation maternelle au problème de l’implantation du placenta», décrit le chercheur.
Le suivi de plus de 2000 patientes enceintes au CHU de Québec, pour lesquelles on a évalué ces critères entre la 11e et la 14e semaine, a permis de valider cette méthode « Prédiction ».
Pour un dépistage plus complet de la prééclampsie
La prééclampsie sévère affectera entre 3 et 5% des femmes enceintes au Canada, et entre 2 et 10 % des grossesses à l’échelle mondiale, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Généralement, c’est autour de 20 semaines que l’on identifie la prééclampsie, en prenant généralement en compte l’âge, un surpoids ou une hypertension préexistante.
Avec cette nouvelle méthode, il serait possible de réagir dès le premier trimestre et de donner de l’aspirine en traitement préventif. S’il reste dangereux d’en donner de manière préventive à toutes les femmes enceintes en raison de son effet antiplaquettaire, « 90% des femmes enceintes à risque de prééclampsie sévère vont en bénéficier pour améliorer l’implantation placentaire », soutient le Pr Bujold.
Ce projet pilote de détection précoce sera initié l’hiver prochain dans quatre centres hospitaliers gaspésiens. Ce sont près de 800 femmes enceintes qui pourront en bénéficier.
De tels soins sont souvent complexes et rares hors des grands centres urbains, rappelle le Pr Bujold : « cela demande un accès à une expertise et aux bons équipements ».
L’importance d’accroître la prévention
Il s’agit d’une étude bien faite par un excellent groupe de recherche, commente Julie Lavoie, spécialiste en cardiométabolique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal –CHUM, qui n’a pas participé à cette étude.
En l’absence de bons tests et avec une progression de la maladie qui n’est pas linéaire, il importe d’augmenter la détection précoce des femmes les plus à risque de prééclampsie. « Nous manquons d’indicateurs, c’est pourquoi il est précieux d’avoir une combinaison de marqueurs susceptibles de détecter la forme sévère de la maladie. »
L’équipe derrière cette étude présente de plus, selon l’experte, un algorithme supérieur à celui utilisé par l’association américaine – le taux de faux positifs est presque le double de celui de l’étude québécoise et il ne détecte pas autant de vrais cas. « C’est pourquoi on aurait avantage à utiliser cette méthode dont la sensibilité est plus élevée. »
Si, souligne-t-elle, l’administration d’aspirine ne bénéficie pas encore d’une littérature assez solide pour la prééclampsie, « le fait de l’administrer tôt ne présente pas de contre-indication. Et encourager des techniques préventives peut avoir des bénéfices qui ne coûtent rien. Surtout que c’est l’une des plus grandes sources de mortalité maternelle et fœtale. »