La métropole a fermé les rideaux sur le Festival international de jazz de Montréal (FIJM), édition 2024, avec en clôture de programmation une porte ouverte à l’Afrique. Les Nigériens Etran de L’Aïr et le Malien Vieux Farka Touré ont conquis le public par leur inspiration commune apolitique. Double face à face avec ses ambassadeurs sahéliens, tous en tournée nord-américaine.
La puissance désertique
Pour les trois frères originaires d’Agadez, au nord du Niger – Moussa Ibrahim, Abdourahamane Ibrahim, Abdoulaye Ibrahim et le batteur Alghabid Ghabdouan – l’aventure canadienne qui leur est offerte pour une première fois relève d’une bénédiction. Leur émotion est palpable. Après Québec, Montréal, et Ottawa, le quatuor met le cap sur de grandes villes américaines.
Propulsée à fond comme jamais en 25 ans d’existence, la formation reconnaît en leur producteur Christopher Kirkley le déclencheur de cette ascension spectaculaire. C’est lui qui les a découverts, sur le terreau de leur musique touarègue qui rythme les fêtes de mariages. L’histoire d’Etran s’écrit à partir de 1995 quand leur aîné Aghaly Migi fonde le groupe. Ils leur doivent l’apprentissage de la guitare. Une époque où l’électrification des guitares était presque un mirage.
Le Niger, en carence de développement
Les thèmes des chansons du quatuor oscillent entre joie et espoir. Et bien que les messages politiques ne s’infiltrent pas directement dans leur démarche créative, les musiciens portent en eux un appel pour le développement de leur pays. Le sort de la jeunesse nigérienne les préoccupe. L’influence des groupes djihadistes qui les enrôlent les prive d’une voie saine. Ce fléau opère, faute d’avoir d’autres raisons de vivre, sans travail à leur disposition.
Un autre coup dur sur le pays: l’afflux des touristes qui désertent Agadez à cause des menaces d’insécurité planant sur le territoire. « Il faut que les décideurs trouvent des alternatives pour le peuple sahélien, investir et implanter des structures pour les populations. Cela fera reculer les terroristes et redonner espoir aux jeunes », implore la formation à l’unisson.
Avec leur récent album à venir le 6 septembre prochain – 100% Sahara Guitar – les mages du rock sahélien, ces « Étoiles de l’Aïr » auront plus que validé l’engouement de leurs compositions auprès de maintes foules hors Niger par cette série de festivals.
Vieux Farka Touré: Mon père, philosophe éternel
Le virtuose chanteur et guitariste malien et ses musiciens de toute génération ont pris d’assaut le Club Soda le 6 juillet pour clore le FIJM dans une vague de liberté sans étiquette. Car pour le fils de l’immortel Ali Farka Touré, jazz rime avec abandon.
Naître à la musique
Bien avant 2006, année du trépas de son père légendaire qui combattait le cancer, Vieux Farka Touré s’est voué à la musique. Comme pour lui, il s’agissait d’un choix de vie dévalorisé par l’entourage qui le forçait à jouer et chanter dans l’ombre. Ainsi le veut la coutume dans le cercle des guerriers dont il fait partie.
Peu avant de partir vers là-haut, père et fils allient leur muse. Une force toujours vive qui ne faiblit pas chez Vieux Farka Touré. « Mon père est toujours le philosophe qui me guide », affirme-t-il, sans détour.
Musique anti-solitaire
Au fil de ses sept albums, l’artiste s’est toujours fait un devoir de se rapprocher d’autres souches musicales pour croiser le fer à des allégeances diverses. Et faire voyager le don blues qui l’habite, son legs paternel. Il envisage l’art et la création sous l’union de la collaboration.
Une formule naturelle et gagnante qui a vu la mise au monde de tant de chansons composant son répertoire comme sur l’album The Secret en 2011, avec la voix du Sud-Africain Dave Matthews et les accords de Derek Trucks et John Scofield. Sur la pièce éponyme résonnent encore les doigts d’Ali.
Une démarche toujours renouvelée, plus récemment avec le trio texan Khruganbin et leur univers funk ayant embrassé l’album Ali paru en septembre 2022. Grâce à ses voyages, aux quatre coins du monde, Vieux se positionne pour la communion sacrée.
Ambassadeur du Mali culturel, l’artiste n’endosse aucune lutte politique. Et il en sera ainsi à jamais, le clame-t-il. « La seule politique qui m’intéresse est l’humanité », réaffirme celui qui vit entre la France et l’Afrique. Hier sur la scène du Club Soda, il a reçu des mains d’Alain Ménard, pilier du FIJM, le 19e Prix Antônio-Carlos-Jobim. Une reconnaissance de son apport remarquable à la musique du monde, influence notoire du jazz mondial.
Parmi les artistes du continent africain ayant aussi mérité cet honneur, le couple malien Amadou & Mariam (2023), le Sénégalais Youssou N’Dour (2011), la Béninoise Angélique Kidjo (2007) et son compatriote Salif Keita (2006).