Avec plus de 70 pays tenant des élections nationales, 2024 est la plus importante année électorale de l’histoire, selon le magazine The Economics. Mais à travers les enjeux qui pousseront les citoyens à se rendre aux urnes, la question de l’impact de la désinformation sur les élections, particulièrement dans le contexte des contenus générés par l’intelligence artificielle, continue d’inquiéter. Y compris à Taïwan, face au géant chinois.
Une équipe de chercheurs s’est en effet penchée sur les questions des fausses nouvelles diffusées sur les médias sociaux, en 2023, à propos de la présidentielle de cette petite république asiatique qui s’est tenue le 13 janvier dernier. Les spécialistes voulaient surtout en savoir davantage sur la façon dont ces mensonges numériques ont pris pour cible la relation entre Taipei et Washington.
Ces fausses nouvelles ont ainsi visé à alimenter la méfiance et le scepticisme envers les États-Unis, plutôt que la politique étrangère américaine directement, indique cette étude, qui a été publiée dans la Harvard Kennedy School Misinformation Review.
Pour examiner la désinformation à travers trois plateformes, soit Line – l’application de messagerie la plus populaire à Taïwan –; PTT, l’équivalent de l’agrégateur Reddit dans le pays, et Facebook, les chercheurs ont utilisé de grands modèles langagiers, c’est-à-dire des algorithmes d’IA comme celui de ChatGPT qui peuvent comprendre et générer du texte et d’autres contenus.
Lorsque les utilisateurs de Line tombent sur du contenu qui pourrait être douteux, ils ont l’option de le transmettre au chatbot Cofacts, une plateforme tierce, gérée par la communauté, qui effectue de la vérification des faits.
Des 140 300 publications sur Line à propos de l’élection taïwanaise qui ont été vérifiées par Cofacts et analysées par les chercheurs, environ 11 000 messages portaient sur Taïwan, les États-Unis et la Chine, ce qui en fait le plus important sujet ayant fait l’objet d’une vérification.
Toujours l’étude, les fausses nouvelles à propos des États-Unis portaient sur divers sujets, comme le risque de guerre, particulièrement en lien avec l’Ukraine; le déclin du dollar en raison des agissements fiscaux de Washington, ainsi que les réserves de vaccins.
Par exemple, certains messages suggéraient que les États-Unis avaient volontairement limité la quantité de vaccins contre la COVID-19, pendant la pandémie, tandis que d’autres avançaient que les doses américaines étaient moins chères, sur le territoire des États-Unis, que ce que Taïwan a eu à payer.
Cette fausse nouvelle pourrait avoir été mise en place, sur les médias sociaux, pour nuire à la réputation et à la crédibilité des États-Unis, ainsi que « diminuer la croyance des Taïwanais selon laquelle les États-Unis sont prêts à offrir leur aide », selon les chercheurs. D’autant plus que de précédents travaux ont justement prouvé que ce genre de gestes avaient été posés.
Une influence étrangère
L’équipe a aussi constaté que la majorité de la désinformation en lien avec les relations taïwano-américaines circulait principalement au sein de groupes politiques alignés sur la Chine, ainsi que des groupes conspirationnistes basés aux États-Unis.
En suivant l’activité en matière de désinformation, ainsi qu’en notant l’emplacement d’origine du contenu, les données ont démontré que certains utilisateurs, en Chine et ailleurs en Asie, avaient délibérément caché leur géolocalisation en utilisant des réseaux privés virtuels pour donner l’impression qu’ils se trouvaient aux États-Unis, alors que cela était faux.
La sphère politique de Taïwan a été principalement marquée par deux partis, soit le Parti nationaliste dirigé par le Kuomintang, appelé le camp bleu, qui reflète une plus grande volonté de réintégration avec la Chine, et le Parti démocratique progressiste, appelé le camp vert, qui souhaite changer officiellement le nom du pays pour Taïwan et modifier la constitution.
Un troisième parti, le Parti du peuple, a émergé en 2020 avec un appel à se concentrer davantage sur les questions locales et sociales, en se tournant moins vers les relations étrangères.
L’analyse s’appuie sur des travaux d’étude des discours publiés sur les médias sociaux et l’appui envers les candidats présidentiels, travaux qui ont été publiés dans PNAS Nexus, plus tôt cette année.
Lai Ching-te, du Parti démocratique progressiste, a récemment entamé son mandat comme président de Taïwan, alors que sa formation a remporté sa troisième élection consécutive, avec 40% des voix. Le Kuomintang a obtenu 33% des voix, alors que le Parti du peuple a reçu 26% des votes, avec une forte proportion des voix des jeunes dans la vingtaine.
Selon Herbert Chang, le principal auteur de l’étude, « cette élection démontre non seulement l’importance croissante des relations internationales lorsque les électeurs se rendent aux urnes, à une époque de tensions géopolitiques importantes, mais aussi la façon dont l’IA peut servir à identifier et combattre la désinformation, et non pas seulement la créer ».