Parmi les fausses informations que voit passer le Détecteur de rumeurs à l’année longue, certaines intriguent par leurs origines plutôt que par leur vraisemblance. C’est le cas de l’idée — fausse — selon laquelle des élèves auraient bénéficié d’accommodements dans leur école parce qu’ils auraient affirmé être des animaux.
Des accommodements qui n’existent pas
D’emblée, aucune de ces histoires ne s’est avérée. Depuis trois ans, d’une ville à l’autre, d’aucuns ont prétendu qu’un élève aurait obtenu l’installation d’une litière dans son école parce que, prétendait-on, il s’identifiait comme un chat et voulait qu’on respecte son choix. L’une des premières écoles à avoir dû réagir à une histoire du genre était à l’île-du-Prince-Édouard: en octobre 2021, la Public Schools Branch (PSB), qui représente les 56 écoles anglophones de l’île, publiait un message soulignant que ces fausses allégations circulaient déjà depuis plusieurs mois.
En octobre 2022, NBC News identifiait 20 candidats ou élus républicains qui avaient colporté cette rumeur aux États-Unis. Le reportage soulignait que ces politiciens utilisaient cette histoire dans le contexte des élections de mi-mandat qui allaient avoir lieu en novembre 2022, dans le but de remettre en cause les mesures de protection pour les enfants LGBTQ.
À ce moment, Google Trends notait d’ailleurs un sommet d’activité pour la phrase « litter boxes in schools ». Apparue sur les écrans radar du moteur de recherche à la fin de 2021, elle a connu, aux États-Unis, une ascension rapide de mars à octobre 2022.
Mais même en supposant que les élections américaines aient été la cause de cette soudaine popularité, la rumeur a continué d’être un sujet d’attention, quoique dans une moindre mesure, tout au long de 2023 et depuis le début de 2024. En mai 2023, c’était au tour d’une école de l’Abitibi d’avoir à démentir cette même rumeur. L’histoire a également traversé l’Atlantique. Le Journal de Montréal rapportait le 20 juin 2023 que des enfants britanniques auraient miaulé en classe ou demandé à être reconnus comme des animaux.
Les caractéristiques d’une légende urbaine
Ces histoires ont toutes les caractéristiques d’une légende urbaine: elles sont courtes, situées dans un environnement familier — les écoles — et relatent un évènement surprenant, mais basé sur des sources impossibles à identifier (souvent « l’ami d’un ami m’a dit que »). Ainsi, NBC News donnait l’exemple du sénateur républicain Tim Kraayenbrink, qui avait propagé cette rumeur, avant d’avouer ne jamais avoir vérifié si elle était vraie. Joe Rogan, animateur d’une baladodiffusion très populaire aux États-Unis, a admis en novembre 2022 que cette rumeur qu’il avait propagée ne reposait sur rien.
Entre janvier et juillet 2022, l’agence de presse Reuters a publié quatre articles de vérification des faits pour expliquer que ces légendes urbaines avaient fait l’objet de démentis de la part des écoles visées: au Michigan, puis au Wisconsin, puis en Indiana, puis à New York. Dans ce dernier cas, un polémiste identifié à la droite conservatrice interviewait une « thérapeute familiale ». Interrogée par Reuters, la thérapeute n’avait pu fournir aucune preuve de ses affirmations.
Une origine de la rumeur: les furries
Bien que plusieurs de ces fausses histoires aient été utilisées par des groupes qui y ont vu un prétexte pour ridiculiser les demandes des groupes LGBTQ, il y a peut-être une origine réelle à la rumeur: les personnes appelées, en anglais, « furries ».
Ce ne sont toutefois pas des personnes qui se prennent pour des animaux: ce sont des amateurs de jeux de rôle ou des admirateurs de personnages d’animaux possédant des caractéristiques humaines —par exemple, ceux des dessins animés. Comme l’explique Sharon Roberts, professeure à l’Université de Waterloo qui s’intéresse au phénomène, les furries forment une communauté de gens partageant des intérêts communs, du même type que les amateurs de Star Trek. Selon un sondage réalisé en 2011 par l’équipe de recherche Furscience dirigée par Sharon Roberts, il y aurait entre 1,4 et 2,8 millions de furries à travers le monde.
Certains peuvent porter des costumes d’animaux, comme celui d’une mascotte, mais seulement dans des occasions spéciales comme une convention ou une parade. Dans un article publié par The Conversation en 2022, Sharon Roberts insistait sur le fait que les furries ne croient pas être des animaux. La sociologue précisait avoir assisté à plus d’une douzaine de conventions de furries… et n’avoir jamais observé de litière !
Une autre origine de la rumeur: les otherkins
Un autre groupe parfois associé à ces rumeurs est celui des « otherkins ». Wikipedia le décrit comme une « sous-culture de gens qui s’identifient, en tout ou en partie, comme non-humains ». Ces personnes peuvent ainsi se décrire comme des entités emprisonnées à l’intérieur d’un corps humain. L’anthropologue américain Devin Proctor, qui étudie cette communauté depuis plusieurs années, estime qu’ils ne sont qu’entre 5000 et 10 000.
Pour certains experts, il pourrait s’agir d’un trouble neurologique. Pour d’autres, une croyance religieuse —ceux qui allèguent que « l’entité » en eux est le fruit d’une réincarnation.
Deux chercheuses britanniques avaient suggéré en 2015 un niveau plus élevé de schizotypie, c’est-à-dire d’inconfort dans les relations interpersonnelles, et d’autisme, chez ceux qui, parmi les otherkins, s’identifiaient plus particulièrement à un animal.
Par contre, souligne Proctor, les otherkins sont conscients qu’ils sont physiquement humains et ne croient pas avoir à se comporter en animal..
Verdict
Aussi étrange qu’elle semble, la rumeur aurait pour origine des communautés partageant des intérêts pour les animaux. Mais son ancrage dans le réel s’arrête là: personne n’a demandé des accommodements particuliers dans les écoles. En revanche, des groupes idéologiques ont vu dans cette fausse info une opportunité pour passer leur message.