Les femmes des pays du Sud portent encore en elles les conséquences de la Covid et des mesures sanitaires qui avaient été mises en place, quatre ans plus tard.
Elles étaient en première ligne pour la réponse à la Covid: les femmes représentent en effet 70% du personnel de santé dans le monde. Elles ont donc été majoritairement touchées par la maladie, alors même qu’elles étaient souvent écartées des décisions politiques, particulièrement dans les pays du Sud.
« La pandémie a mis en lumière des choses qui existaient et dont on connait les conséquences », relève Anne Calvés, professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal et co-organisatrice du colloque qui a lieu cette semaine au congrès de l’Acfas sur l’Impact de la COVID-19 sur les adolescentes et les femmes.
La Covid a en effet révélé les inégalités économiques et sanitaires. « Cela a été un accélérateur. Économiquement, les femmes ont été plus durement touchées par cette crise que les hommes », ajoute-t-elle. Des problèmes sociaux, comme la violence domestique ou le harcèlement des adolescentes, ont également été exacerbés par les confinements.
Dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, plus de 90 % des femmes travaillent dans le secteur informel et occupent les emplois les plus précaires. Au Burkina Faso, elles s’occupent majoritairement de petits commerces de détail, de la restauration sur la voie publique ou des services personnels à domicile, alors que les adolescentes travaillent souvent comme domestiques. Lorsque, le 16 mars 2020, le gouvernement burkinabé a mis en place des stratégies destinées à limiter la propagation du virus, ce sont ces secteurs économiques qui ont été le plus durement touchés.
« Ces femmes et les filles sont les plus à risque de tomber durablement sous le seuil de pauvreté. Elles ont subi plus de pertes d’emplois et de revenus lors de la crise sanitaire, cela a mis à mal leurs conditions économiques et leur bien-être », résume Madeleine Wayack Pambe, de l’Institut supérieur des sciences de la population de l’Université Joseph Ki-Zerbo, au Burkina Faso.
La chercheuse présentait à l’Acfas les données d’une enquête quantitative et qualitative menée auprès de 1609 femmes de 15 à 64 ans, dans deux grandes villes du pays, Ouagadougou et Bobo Dioulasso.
Six femmes sur dix ont perdu des revenus et sept femmes sur dix ont vu leurs activités ralentir. Plus de 75% des commerces informels avaient même des difficultés à respecter les gestes barrières : ils ne pouvaient plus proposer de plats à partager et ont dû changer leur offre alimentaire.
« Elles ont dû recourir au crédit et vivent encore endettées, plus de 3 ans après la pandémie », explique la Pre Wayack Pambe.
Le projet mené par son équipe, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais, vise à mieux intégrer les adolescentes et les femmes du secteur informel dans les décisions d’après-pandémie. Ce sont elles qui ont le moins été prises en compte lors des mesures d’atténuation destinées à soutenir les petits commerçants.
Par exemple, la suspension des loyers ne concernait pas les marchandes ambulantes. « Moins de un pour cent d’entre elles ont été consultées et moins de 9% ont pu en bénéficier », relevait encore la chercheuse dans sa présentation.
Ce faible niveau d’inclusion des femmes dans les politiques a donc empiré leur situation et accru leurs vulnérabilités.
Recherche-action sur la santé des femmes
Au Bénin aussi, la pandémie a frappé plus durement les plus vulnérables. La « pandémie de l’ombre » qu’est la violence envers les femmes a progressé. « La violence basée sur le genre est à la hausse », explique l’étudiante au doctorat en sociologie de l’Université de Montréal, Maude Jodoin-Léveillée, dans une présentation sur les impacts de la COVID au Sud-Bénin.
« Même si ce n’est pas nouveau pour bon nombre de femmes, l’inégalité de genre a fragilisé les plus vulnérables, les adolescentes (15-19 ans) et celles qui vivent hors des villes, mises à l’écart en raison du cordon sanitaire (COSAN) créé par le gouvernement ».
Cela se traduit par près de 10% de plus de violences basées sur le genre, entre les zones du sud du pays et celles du nord, séparées par cette restriction de circulation. Tous les types de violences sont plus élevés: psychologiques, sexuelles, physiques.
Du côté des revenus, 74% des personnes interrogées ont déclaré en avoir perdu. Cela affecte plus particulièrement les femmes qui représentent 97% des emplois du secteur informel, dont près de la moitié issus de la vente de petits articles et du commerce. Elles gagnent généralement moins que leurs comparses masculins avec seulement 4% qui atteignent les 60 000 CFA par mois, contre 27% des hommes.
Ces données proviennent d’une enquête réalisée auprès de 4924 femmes et 2196 hommes, résidant dans les zones COSAN et hors COSAN du Bénin.
L’objectif de ce projet est de dresser un état des lieux mais aussi, dans un deuxième temps, de déployer des solutions adaptées. Les deux groupes identifiés comme les plus vulnérables —adolescentes et femmes des milieu ruraux— devront faire l’objet d’études plus poussées.
« Les jeunes étaient plus à la maison avec la fermeture des écoles et y subissaient plus de violences physiques. Il faudra documenter les diverses situations pour pouvoir y répondre au mieux », explique la Pr Calvés.
Ces projets de recherche-action —celui du Bénin et celui du Burkina Faso— visant à renforcer les capacités des femmes de ces pays sont soutenus par l’initiative « Les femmes S’ÉLÈVENT – santé et bien-être économique pour une reprise post-COVID-19 inclusive, durable et équitable », du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), doté d’un budget de 24 millions $.
« C’est le travail de 23 équipes de recherche conjointes orientées sur le rétablissement et la résilience des femmes et jeunes filles les plus vulnérables », insiste la Dre Sana Naffa, responsable au CRDI du programme Learning together to advance Evidence and Equity in Policymaking to Achieve the Sustainable Development Goals in Africa.
La résilience en tête
Au Nigéria aussi, la pandémie a eu un impact disproportionné sur le travail, la santé et le bien-être de plus de 85% des travailleuses autonomes.
Comme pour Kay, travailleuse du cuir de 31 ans qui a dû fermer boutique « avec l’impression que tout va s’écrouler », rapporte la Dre Srividya Iyer, professeure associée au département de psychiatrie de l’Université McGill et au Centre de recherche Douglas.
Son projet de recherche vise à renforcer la résilience des travailleuses indépendantes de l’État de Oyo, au Nigéria, mais s’intéresse aussi aux autres évènements majeurs de la vie des femmes susceptibles d’avoir un impact sur leur statut de travailleuse autonome: comme la grossesse, l’accouchement et la surcharge des tâches domestiques.
« Cela a un effet cumulatif, on le voit », poursuit Srividya Iyer. La pandémie a eu de nombreux impacts négatifs sur leur vie, « mais cela peut aussi représenter une opportunité de changements et de croissance pour elles ». Ce qui peut être propice à une adaptation, grâce au réseautage entre femmes, mais aussi à de la diversification au sein du marché de l’emploi, et ça peut même contribuer à un virage vers le numérique.
Le projet est piloté par la professeure de psychiatrie et doyenne du Collège de médecine de l’Université d’Ibadan, Olayinka Omigbodu.
Il mise sur ce que les chercheuses nomment la « théorie du changement » en identifiant différentes solutions à court, moyen ou long terme pour renforcer les capacités de ces femmes, leur réseau professionnel ou faciliter leur accès à des ressources en santé mentale ou à du crédit. « Cela peut être une source de motivation avec les soutiens nécessaires et financiers. Cela peut permettre d’améliorer les compétences et d’ouvrir de nouvelles perspectives », ajoute la Pre Iyer.
Il est possible de voir à travers les histoires numériques réalisées par les travailleuses, comment elles parviennent à traverser les défis professionnels et personnels. Des témoignages susceptibles d’inspirer d’autres femmes et jeunes filles sur la route de leur développement professionnel et personnel.