La faillite d’Evergrande, l’un des principaux développeurs immobiliers de Chine, a provoqué une série d’événements similaires dans le secteur, provoquant une crise immobilière qui persiste dans l’empire du Milieu. Au dire de chercheurs de l’Université du Michigan, si des analystes évoquent de nombreux facteurs pour expliquer cette situation, la concentration de cette industrie entre les mains d’une poignée de joueurs en représente à la fois un aspect essentiel et sous-estimé.
Parmi les autres raisons évoquées pour expliquer cette débandade économique, rappellent les auteurs des travaux, on compte le système fiscal chinois, les normes en matière de financement pour achat de terrains, et l’intervention de l’État, entre autres facteurs.
La nouvelle étude, menée par Lan Deng, professeur de développement urbain et régional, se penche sur l’industrie immobilière chinoise et ses développements entre le début des années 2000 et 2018. Il en ressort que ce secteur de l’économie a été très largement concentré, les grandes entreprises représentant une part croissante de la construction de maisons en Chine, ce qui a joué un rôle important dans les déboires du marché, affirme-t-on.
Par exemple, les cinq principaux développeurs immobiliers du pays ont représenté 30% de toutes les mises en chantiers résidentielles en 2018, comparativement à 13%, aux États-Unis, pendant la même période, pour les cinq plus grandes compagnies au pays de l’Oncle Sam. Chez nos voisins du Sud, d’ailleurs, la construction domiciliaire n’a représenté que le quart de ce qu’a produit la Chine pendant la dernière décennie.
Toujours en Chine, malgré le fait qu’il existe environ 10 000 firmes de développement immobilier dans l’ensemble du pays, la part de marché des 100 principales entreprises du secteur est passée de 28 à 58%, entre 2012 et 2018.
Conséquences à grande échelle
Les répercussions de l’échec de tels conglomérats sont vastes, écrivent les chercheurs, tel que démontré par Evergrande et Country Garden, les deux plus importants développeurs immobiliers de Chine. Evergrande, qui revendiquait autrefois la construction de 72 millions de mètres carrés de bâtiments par an, s’est placé sous la protection de la loi contre les faillites en août 2023.
Country Garden, qui fabriquait environ deux fois plus de maisons qu’Evergrande, chaque année, avant la pandémie, a été incapable de payer ses dettes en octobre de l’an dernier. La dégringolade de ces deux géants a eu l’effet d’une chape de plomb sur l’ensemble du secteur de l’économie chinoise.
Au dire des chercheurs, la concentration du secteur, en Chine, était largement imputable aux avantages dont profitent les grandes entreprises. Celles-ci ont souvent accès à des capitaux à faibles coûts. En Chine, toutes les grandes banques appartiennent à l’État, et la capacité de prêter de l’argent est donc largement encadrée par Pékin.
Craignant une trop grande dépendance de l’État envers le secteur immobilier, le gouvernement a jugé que seuls les développeurs mandatés par Pékin pouvaient obtenir des prêts bancaires, puisqu’ils étaient classés comme étant à faible risque. Et donc, ceux qui profitaient de ces prêts étaient les grands conglomérats ayant des liens, indirects ou directs, avec le gouvernement chinois.
Un autre facteur ayant contribué à la concentration du secteur est le modèle de la prévente. En vertu de celui-ci, la mise de fonds, ainsi que les prêts hypothécaires des acheteurs, sont transférés aux développeurs durant la phase de construction, une somme qui sert alors de capital. En raison des risques associés à ces préventes, les acheteurs chinois préféraient se tourner vers les grandes compagnies, avec un historique connu.
Enfin, le système de vente des terrains a également favorisé les grands développeurs. En Chine, les terrains appartiennent à l’État et sont vendus au plus offrant lors d’enchères. Et donc, seuls les développeurs possédant les capitaux nécessaires pouvaient remporter ces enchères. Depuis 2006, par ailleurs, le gouvernement central a imposé un système de quotas qui limite la taille des terres que les gouvernements locaux peuvent réserver à des fins de développement urbain.
Tout cela a contribué au fait qu’entre 2004 et 2018, le coût des terrain a augmenté d’environ 17% par an, alors que le prix des maisons a grimpé d’environ 9%. Cette augmentation largement supérieure du prix des terres, par rapport à celui des habitations, signifie que les marges bénéficiaires ont diminué, ce qui a encore compliqué les choses pour les petits développeurs.
« Cette concentration de l’industrie immobilière vient non seulement exacerber les enjeux de l’économie nationale chinoise, mais entraîne aussi des impacts négatifs à l’échelle locale », affirme M. Deng.
Au total, le secteur de l’immobilier représente environ 20% du PIB chinois.
Et puisque les grands développeurs ont souvent pris de l’expansion à l’échelle du pays, la construction de nouveaux bâtiments représentait de plus en plus des pertes pour les économies locales, puisque les profits engrangés à l’aide des sommes versées par les acheteurs locaux étaient souvent envoyés au siège des entreprises, souvent installé dans des régions plus prospères.
Cela, à son tour, a contribué à accentuer les disparités entre les régions chinoises, mentionne l’étude.
Pire encore, le fait de se concentrer sur les régions où les terrains sont plus abordables peut entraîner une trop grande augmentation de l’offre, par rapport à la demande en logements.
Ultimement, lorsque les marchés locaux ont pris une mauvaise direction, les grandes entreprises ont pu rapidement retirer leurs billes des régions moins développées, comme cela s’est produit pendant la pandémie de COVID-19. Cela a fait en sorte que les économies locales, souvent dépendantes de l’immobilier pour assurance une croissance, ont souffert de grandes conséquences, indique encore l’étude.