Le Québécois Éric Gauthier a créé à Stuttgart une compagnie de danseurs exceptionnels. Dans le cadre de Danse Danse, ils interprètent les ballets contemporains de trois géniaux chorégraphes : Marie Chouinard et Hofesh Shechter pour des œuvres inspirées du Lac des cygnes en version très contemporaine, et Ohad Naharin pour son désormais presque classique Minus 16, mais toujours réinventé et à chaque fois plus époustouflant.
Un programme d’une richesse extraordinaire, donc, qui laisse sans voix, mais dont on a envie de dire tellement de choses. Y compris colporter le message que nous dansons (dans notre imagination, au moins), que nous danserons encore et que nous danserons toujours.
Car en voyant ces danseuses se déhancher et se cambrer doucement et sensuellement, dégageant à la fois de la force et de la vulnérabilité, telles de majestueux oiseaux, des dames oiselles qui se révoltent à la fin de la séquence contre les outrages qu’elles subissent, on se dit que Marie Chouinard est une chorégraphe qui nous étonnera toujours par sa créativité et son sens de l’esthétique et de l’émotion.
Mais lorsqu’un autre groupe de danseurs mixte, habillés des vêtements que tous les jeunes trouvent dans leur garde-robe, débarque avec leur énergie, leur humour et leur fougue… on se dit qu’Hofesh Shechter a tout compris du sens du rythme, de l’envie de bouger qui bouillonne à l’intérieur de chaque être humain. Quand enfin on retrouve les différentes séquences du ballet de Ohad Naharin, du solo qui occupe la scène pendant que les spectateurs se réinstallent après l’entracte au tableau final généreux qui n’en finit pas d’enthousiasmer les spectateurs, on se dit que la danse est faite pour tout le monde mais que des artistes du calibre de la Gauthier Dance compagnie en sont les virtuoses ambassadeurs.
Le spectacle est vraiment époustouflant du début à la fin.
Marie Chouinard a le don de suggérer la fragilité de ces oiseaux du Lac des cygnes avec des mains qui se replient au bout de leurs longs bras tendus, cette unique pointe à leur pied droit ou cette façon de glisser sur le sol en cambrant leurs corps magnifiques. Comme Ohad Naharin, elle donne de la voix à ses danseuses qui se font aussi chanteuses de leur combat féministe.
Hofesh Shechter ne se contente pas de chorégraphier son ballet, il en crée aussi la musique envoutante, rythmée avec des moments de respiration, de dépression et de reprises enthousiastes. Une foule hypnotisante, apparemment désorganisée aux membres individualistes qui se retrouvent dans des coordonnées improbables aux moments où on s’y attend le moins et qui communiquent leur énergie folle à la fois joyeuse et très sérieuse.
Ohad Naharin repousse, de son côté, toutes les limites de la danse contemporaine. Il a de l’humour et de la profondeur, de la générosité pour son public à qui il offre une envolée au plus haut des cieux avec retour sur terre dans son incroyable E’had mi yodea, ou une célébration émouvante et réaliste du lien amoureux à travers un duo magnifique qui, entre deux rencontres, se rentre symboliquement dedans de manière presque hostile. Mais Mister Gaga, comme on l’appelle désormais, met aussi sa théorie en pratique en montrant que la danse est faite pour tous, pour tous les âges et pour tous les états de santé.
Le programme éclectique et contrasté est d’une qualité difficile à égaler; l’ensemble est un hommage à la vie, au mouvement, à l’amour. À la toute fin, la salle était enthousiaste et les 16 artistes sur scène ne se privaient pas d’entrer en communication avec les spectateurs en offrant mille virtuosités improvisées de leur spécialité. Un cadeau supplémentaire à une spectacle déjà étourdissant.
Gauthier Dance/ Dance compagny
Theaterhaus Stuttgart
Le chant du cygne: Le lac
Chorégraphe: Marie Chouinard
Swan Lakes
Chorégraphie et composition: Hofesh Shechter
Minus 16
Chorégraphie: Ohad Naharin
Interprètes: Bruna Andrade, Andrew Cummings, Anneleen Dedroog, Karlijn Dedroog, Barbara Melo Freire, Shai Ottolenghi, Luca Pannacci, Garazi Perez Oloriz, Rina Pinsky, Arnau Redorta Ortiz, Izabela Szylinska, Sidney Elizabeth Turtschi, Locke Egidio Venturato, Giovanni Visone, Shawn Wu et Shori Yamamoto
Gauthier Dance, du 1er au 4 mai 2024 au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, à Montréal