Il y a très certainement un bon film de 90 minutes ici, quelque part, dans The Fall Guy, comme la majorité des éléments sont positifs. Sauf qu’en dépassant les deux heures, ce film pèche par excès, étirant une sauce qui avait tout pour prendre. Comme quoi il ne suffit pas d’avoir de bonnes choses, il faut évidemment ne pas en abuser, mais aussi savoir les apprêter.
Très librement inspiré de la télésérie à succès du même nom des années 1980, forte de plus d’une centaine d’épisodes étirés sur cinq saisons, le film n’en a pas conservé grand-chose, hormis quelques grandes lignes du concept et les noms de quelques personnages.
Il faut dire que ce projet traîne dans les tiroirs des studios depuis 2010 et que l’ancien cascadeur devenu réalisateur David Leitch a tenté d’en faire une lettre d’amour qu’on imagine un tant soit peu personnelle, en plus d’en faire un divertissement grand public rassembleur comme il aime si bien les faire.
Le problème c’est qu’il se perd beaucoup en chemin et multiplie les avenues alambiquées, en plus d’accorder beaucoup trop d’importance à son histoire et ses sous-intrigues, au point de voler l’importance à ce qui aurait dû importer: ses éclairs de folies et ses bons flashs, oui, mais surtout ses cascades.
Pourtant, on sait que l’entreprise est possible, puisqu’en 2007, Quentin Tarantino a eu le culot de donner la vedette d’un de ses films à sa cascadeuse Zoë Bell, qui avait assuré notamment la doublure de Uma Thurman dans les deux volets de Kill Bill. Le résultat était Death Proof, du programme double Grindhouse façonné avec passion lors d’une jouissive collaboration avec Robert Rodriguez, son partenaire de l’époque, un film rassembleur qu’on aime pourtant rabaisser à tort.
En fait, son hommage senti au métier de cascadeur (et mieux encore aux cascadeuses) donnait la part belle à cet emploi et à ses risques dans un récit qui s’amusait grandement avec le concept et une bonne dose d’adrénaline. Mieux, ce projet ambitieux a aussi permis à Bell de se faire connaître pour ses talents de cascadeuse (puisque le rôle était évidemment très physique) en plus de ceux d’actrice, lui donnant la chance de poursuivre une carrière envieuse par la suite.
Disons qu’on s’attendait à la même chose, ou du moins à quelque chose de similaire ici, ce qui est malheureusement loin d’être le cas.
Des opportunités manquées
On ne peut toutefois pas reprocher à Leitch de manquer d’ambitions. Après avoir doublé la mise à la fois pour la suite de Deadpool, ainsi que pour l’exagéré Fast & Furious: Hobbs & Shaw, il s’est fait plaisir avec le délirant Bullet Train (un film qui tournait un peu à vide et était bien loin d’être le nouveau Snowpiercer, nous l’avouerons).
Ici, il veut redorer le blason des films popcorn de la période estivale en mêlant action et romance (pensons The Lost City dans les dernières années, qui bénéficiait de Jonathan Sela, le même directeur photo que les films de Leitch), tout en s’appuyant d’une réflexion plus ou moins meta sur le milieu hollywoodien. Comme quoi, malgré des pointes évidentes et peu subtiles, on reste de marbre devant cette mention que les cascadeurs sont toujours ignorés aux Oscars, cette obsession pour l’utilisation des VFX – incluant le deepfake – et même cette parodie à peine camouflée des Dune de Denis Villeneuve pour un studio rival.
On comprend donc rapidement que dans cette très large farandole d’idées et de désirs, bien peu s’avèrent réussis.
Certes, l’enthousiasme des acteurs est vite rassembleuse. Comme on le sait depuis un moment déjà, Ryan Gosling est né pour la comédie et son timing comique est encore des plus appréciables, même si on est loin de sa dévotion pour son Ken du phénomène Barbie de l’an dernier. Sa chimie avec la pétillante Emily Blunt fait aussi d’irrésistibles étincelles, même si l’on regrette que Leitch a encore beaucoup de misère à offrir des rôles féminins intéressants (repensons à Atomic Blonde et sa « séduisante » assassine), lui laissant bien peu à se mettre sous la dent pour donner de la chair et un véritable intérêt à son personnage. Elle commence d’ailleurs seulement à se mettre à l’ouvrage physiquement dans le dernier tiers, de quoi ressortir déçu encore, comme on l’était après Jungle Cruise.
Il en va de même pour Hannah Waddingham, Stephanie Hsu et une Teresa Palmer plutôt méconnaissable, qui malgré cette belle constellation de présences féminines, n’arrivent que peu à relever le niveau. Au reste, Winston Duke s’est certainement déjà fait plus mémorable, alors qu’Aaron Taylor-Johnson en fait des tonnes dans un rôle où il semble volontairement s’exprimer comme Matthew McConaughey. Disons qu’au final, ils se font tous voler la vedette par Jean Claude… un chien qui parle uniquement français, et qui serait le clin d’œil de Gosling à sa femme.
On aurait donc pu acheter cette romance qui survit à tout, mais ça se gâte quand on nous sort une histoire de complot qui rappelle le plus tordu et le pire de Josie and the Pussycats, surtout parce que Leitch a encore la mauvaise manie de beaucoup trop miser sur ses revirements et ses révélations dites « choc », une mauvaise habitude également spécifique aux scénarios de Drew Pearce.
C’est d’autant plus dommage que les poursuites et les cascades, qui sont pour la plupart quand même louables, ne sont pas assez mises de l’avant et font, comme c’est toujours le cas, simplement cacher dans l’ombre tous les cascadeurs qui y participent.
Cette ironie devient vite frustrante et on a certainement du temps pour y méditer, puisque le film traîne en longueur. On recommandera alors beaucoup plus le générique de fin qui se permet beaucoup trop tard de finalement mettre en lumière toute la beauté du métier de cascadeur, mais aussi toute la complexité derrière chaque séquence.
Il est donc indéniable que The Fall Guy est un blockbuster bonbon. Il y a tout ce qu’on peut aimer, tout comme assez de volonté pour titiller notre intérêt. Il est peut-être par contre temps de considérer le fait que Leitch n’a pas l’étoffe nécessaire pour entièrement mettre en scène toutes ses idées et leur donner un style, mais surtout un rythme qui mériterait entièrement notre attention.
5/10
The Fall Guy prend l’affiche en salle ce vendredi 3 mai.