Les jeux de gestion médiévale se suivent et se ressemblent; depuis Banished – et même sans doute avant ce classique des classique – les titres où l’on devait développer son village moyenâgeux pour en faire une ville florissante sont légion. Mais Manor Lords, en développement depuis sept ans, apporte une série d’améliorations qui, même en accès anticipé, en font une entité à part.
À première vue, il est difficile de comprendre pourquoi ce titre développé par Slavic Magic, et publié par Hooded Horse, fait l’objet d’une attention si démesurée… Un récent communiqué de presse faisait d’ailleurs état de rien de moins que trois millions d’ajouts à une « liste de souhaits » sur la plateforme Steam, en vue du lancement en accès anticipé, vendredi le 26 avril.
Mais il ne faudra que quelques minutes pour comprendre à quel point les développeurs ont injecté de l’amour et de la minutie dans ce jeu. Car c’est du côté des petites choses que Manor Lords se distingue. Enfin, petites choses; le jeu aspire aussi à occuper une place de choix du côté des jeux de stratégie, plutôt que des jeux de gestion pure et simple, avec la possibilité de fabriquer armes et armures, de recruter des mercenaires, de bâtir des défenses et d’envoyer ses hommes combattre, histoire de conquérir les terres voisines, ou repousser une attaque de bandits.
Pourtant, et assez ironiquement, faut-il le souligner, le nerf de la guerre, c’est la vie de tous les jours. C’est l’exploitation de ressources, la chasse des animaux, la cueillette des fruits sauvages, la construction de bâtiments, l’offre de services publics, comme l’église ou la taverne… Tout cela, encore une fois, a déjà été examiné dans quantité de jeux précédents. Cette fois, cependant, Manor Lords s’attaque à ce problème de gestion de plusieurs façons novatrices.
Tout d’abord, ce ne sont pas des travailleurs individuels qui sont affectés à des emplois, mais des familles entières. Cela vient non seulement simplifier la gestion de nos habitants (et de nos forces vives), mais cela donne aussi une plus grande impression de réalisme; les habitants ne sont plus des êtres désincarnés, des « agents » anonymes, en quelque sorte, qui ne font qu’aller de leur travail à leur domicile, sans rien entre les deux.
Maintenant, on assure une plus grande cohésion sociale, surtout avec le concept, très en vogue à l’époque du Moyen-Âge, que les professions étaient transmises de génération en génération.
Bien sûr, il est toujours possible de réassigner des familles d’un emploi à un autre; ce sera d’ailleurs nécessaire. Après tout, les baies sauvages ne poussent pas, l’hiver. Ou vos cueilleurs, trop zélés, pourraient ramasser tous les petits fruits trop rapidement, et se retrouver désoeuvrés, ensuite.
Et c’est d’ailleurs cette quantité tout juste suffisante de microgestion qui fait de Manor Lords un jeu à part. Pas besoin, en effet, de fabriquer spécifiquement des outils dès le départ d’une partie, par exemple, ou de produire des vêtements pour que nos paysans passent l’hiver; certaines choses sont simplifiées pour faciliter l’expérience du jeu.
D’autres aspects, cependant, sont merveilleusement tout juste assez complexes pour faire en sorte que les amateurs de jeux de gestion y trouvent largement leur compte. Comme cette possibilité d’alterner les plantes que l’on fait pousser dans les champs, sur une durée d’au plus trois ans, avec la capacité d’y intégrer une période de jachère pour favoriser la fertilité des sols.
On saluera aussi l’option, lorsque l’on bâtit des espaces d’habitation assez longs, d’utiliser la cour arrière pour y faire pousser des légumes, ou élever des poulets, qui fourniront alors des oeufs. Améliorez ces maisons et vous pourrez développer des fours à pain, des installations pour produire de la bière (à partir du malt que vous ferez pousser dans les champs), ou encore fabriquer des souliers, entre autres exemples.
Manor Lords regorge donc de ces petits plus qui en font un jeu suffisamment profond et complexe pour que le joueur y voit non pas une usine à automatiser, comme peut l’être Banished, mais une véritable société numérique qu’il faudra guider à travers son développement.
Vous avez dit accès anticipé?
Sans surprise, Manor Lords n’est pas parfait. Tout d’abord, un grand nombre d’options sont encore inaccessibles, verrouillées derrière de futures mises à jour, voire carrément absentes. Tout l’aspect « métajeu », celui des joutes politiques, des intérêts financiers et militaires dépassant les limites de votre fief, n’est qu’esquissé.
D’ailleurs, s’il est possible de vivre des combats contre des bandits, mais aussi contre un autre seigneur, dans le mode « normal » du jeu, l’aspect guerrier du jeu en est encore à ses premiers pas. Particulièrement les mêlées, qui sont bien loin de la flexibilité offerte par des titres contre Total War, par exemple.
On n’en demande pas tant, bien sûr, mais il est clair que les développeurs ont besoin de consacrer plus de temps à cet aspect du jeu avant d’espérer souhaiter offrir une expérience plus complète.
Parlant d’expérience plus complète, les développeurs sont très clairs: il faut spécialiser rapidement notre village, en utilisant les rares points de développement octroyés lorsque l’on franchit certains seuils. Le hic, c’est que ces points sont franchement trop peu nombreux, justement, et que plusieurs options qui semblent aller de soi, comme le fait de produire du charbon, qui est plus efficace pour chauffer les maisons que le simple bois, il faille choisir entre deux aspects en apparence essentiels pour la bonne marche de notre société.
Pourquoi ne pas permettre une plus grande flexibilité? D’autant plus que la prise de contrôle d’autres territoires, dans la région où se joue notre partie, est un processus particulièrement long. Un temps qui contraste avec les décisions qui doivent être prises rapidement, surtout si l’on joue contre un autre seigneur.
Complexe, mais sans verser dans l’excès, audacieux, original… Manor Lords a encore besoin d’améliorations, mais le titre se démarque déjà, et nul doute qu’au cours des prochaines semaines et des prochains mois, les gens de Slavic Magic prouveront à moult reprises leurs talents de développeurs.
Manor Lords (en accès anticipé)
Développeur: Slavic Magic
Éditeur: Hooded Horse
Plateformes: Windows, Xbox One et Series (testé sur Windows / Steam)
Jeu disponible en français (interface et sous-titres)