Comment des penseurs comme Sartre ou Foucault ont-ils pu soutenir un programme aussi monstrueux que celui du régime des mollahs, en Iran? C’est ce que L’inconstance, duo dansé des deux artistes et intellectuels Nasim Lootij et Kiasa Nazeran, se propose de questionner et d’illustrer.
Originaires d’Iran et maintenant installés à Montréal, les deux artistes, membres du collectif Vâtchik Danse, jettent un regard juste et sévère sur ces intellectuels qui, en 1979, se sont laissés abuser par ce qui allait devenir l’un des pires totalitarismes qui soit.
Sur la scène, une paire de ciseaux est plantée sur un grand rouleau de papier blanc. Le couple d’artistes apparaît. Ils sont debout, mais leurs têtes sont penchées vers le sol, soumis bien malgré eux.
« D’où provient cette tendance à nous soumettre à des discours vides? » C’est ce que fait entendre une voix off pour donner le ton de la performance qui va suivre.
Sur le sol, un long chemin de papier blanc fait entendre son froissement, ses blessures, ses déchirements, sa mortification.
Vivre sous la dictature des mollahs et sous la loi de la charia est simplement un enfer. Sans entrer dans les détails de la répression terrible que subissent les compatriotes des deux artistes, ceux-ci expriment, à travers une chorégraphie émouvante et très élégamment exécutée, les réactions de silence imposé ou de folie, la détresse généralisée, mais aussi un certain humour face à ces humains transformés en quasi animaux qu’ils deviennent malgré eux et qui tentent de réagir et de vivre malgré tout.
Intercalés dans une musique bien choisie, les discours galvanisants de Hitler, de Staline ou de quelque gardien de la révolution hypnotisent les foules qui s’en tiennent à la superficialité, sans entendre ce qui pourtant est clairement annoncé, d’une transparence sans équivoque.
Or, des intellectuels aussi avisés que Sartre et Foucault n’en ont pas fait cas. Comme ils n’étaient pas habités par un sentiment religieux, et s’imaginaient sans doute qu’il en était de même pour tout le monde, ils en sont restés à leur fantasme révolutionnaire d’une pseudolibération. Et une foule d’idiots utiles les a docilement suivis.
Ce qui est frappant, c’est que l’aveuglement se poursuit aujourd’hui. Peu de gens sont sensibles aux récents soulèvements en Iran inaugurés par le triste assassinat de la jeune Mahsa Amini. À croire que les féministes sélectionnent certaines causes comme plus valables que d’autres, et les récentes horreurs du 7 octobre, à Gaza, en font partie.
En somme, Nasim Lootij et Kiasa Nazeran n’en sont pas à la fin de leur questionnement. Est-ce que leur belle performance, pleine de grâce, d’intelligence et d’émotion permettra, par le biais de l’art, de cesser d’occulter la réalité? On doit l’espérer. Car la chute du régime des mollahs, en Iran, constituerait à n’en pas douter une immense bouffée d’oxygène.
L’inconsistance, du 17 au 20 avril 2024 au MAI, à Montréal
vâtchik: nasim lootij + kiasa nazeran
Collectif : Vâtchik Danse
Idéation : Kiasa Nazeran et Nasim Lootij
Chorégraphie et dramaturgie : Nasim Lootij et Kiasa Nazeran avec l’assistance de Sophie Michaud et Michel f. Côté
Interprètes : Kiasa Nazeran et Nasim Lootij