Réinventer des mythologies vieilles comme le monde n’est pas une tâche facile et on pourrait croire qu’Abigail a envie de se prêter à l’exercice. Sauf qu’il s’agit d’une proposition visant à offrir davantage un divertissement grand public – mais très violent – vite oublié, plutôt qu’un classique ou une référence en la matière.
Tels les Jigsaw du film de genre, les réalisateurs Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett semblent prendre un malin plaisir à en faire leur terrain de jeu. Outre la franchise meta par excellence Scream qu’ils on revigorée (ou non, selon de quel côté du débat on se tient), c’était après tout une invitation directe qu’ils nous lançaient avec leur fort amusant Ready or Not.
Heureusement, le plaisir est encore de la partie avec Abigail et on peut se rassurer en se disant que ce qui est amusant, ici, l’est fortement. Hélas, le long-métrage, qui a bien quelques demi-heures en trop, pèche par excès et essaie d’être beaucoup trop de choses à la fois.
Imaginé comme étant plusieurs choses, dont un remake libre de Dracula’s Daughter (on a même cru qu’il y aurait un lien avec un des personnages du film culte The Cabin in the Woods), le film est finalement l’unique électron de son propre univers, pour le meilleur et le pire.
De fait, on a parfois l’impression d’assister à l’épisode pilote d’une télésérie, alors qu’on essaie maladroitement de présenter, développer et mettre la table pour tout ce qu’on a sous la dent, dans l’idée (possible) que cela puisse servir plus tard (dans une suite ou une oeuvre dérivée, selon le succès obtenu).
Ainsi, toutes les backstories sont développées à échelle inégale (au point de permettre au trop souvent mésestimé Kevin Durand de faire ressortir son côté québécois, accent à l’appui et même un sacre pour ceux qui auront l’oreille) et on se permet même des passages qu’on imagine ayant la volonté d’être touchants.
Sauf que de mélanger film de kidnapping, film de vampires (la twist que tout le monde connaît, mais qu’on prend un temps fou avant de nous offrir) et film de survie à huis clos, parmi tant d’autres, ne se fait pas toujours habilement, surtout qu’on mêle à l’ensemble un peu de suspense, un peu d’horreur, beaucoup d’action et beaucoup d’humour.
Sans mauvais jeu de mots, puisque la petite Abigail interprétée avec panache et conviction par la jeune Alisha Weir est aussi ballerine, disons que le film ne sait pas trop sur quel pied danser.
Heureusement, l’ensemble est réalisé de manière assurée et convaincante. De changer de directeur photo pour Aaron Morton (qui vient d’ailleurs d’épater avec l’impressionnant The First Omen) semble avoir apporté une nouvelle inspiration non négligeable pour mettre de l’avant des visuels différents, alors que le montage profite quand même d’un certain rythme en s’assurant qu’on ne s’ennuie jamais trop longtemps.
Du reste, on ne misera pas trop sur le scénario cumulant absurdités et incohérences, ou sur l’humour qui ne fait pas toujours mouche, mais plutôt sur l’enthousiasme de la distribution qui fait certainement mieux passer la pilule.
Certes, on a encore beaucoup de misère à croire à ceux qui voient beaucoup de potentiel en Melissa Barrera (même si elle semble plus inspirée que de coutume) et on a un pincement au coeur évident à (re)découvrir Angus Cloud dans un de ses derniers rôles, mais même si elle en met probablement trop, Kathryn Newton fait montre d’une chimie certaine avec ses partenaires.
De son côté, Dan Stevens continue d’avoir un plaisir fou et même avec son temps d’écran limité, Giancarlo Esposito sort continuellement du lot. Également, comme dit précédemment, grâce aux tonalités souvent impressionnantes de nuances dans son jeu à la fois physique et psychologique, Weir apporte fort certainement plusieurs des moments les plus intéressants, savoureux et tordus du lot.
On regrette toutefois que le projet se casse à la fois trop et pas assez souvent la tête. Présentant une mythologie assez ambiguë du mythe vampirique (tout en essayant de citer nombre de références socio-culturelles, plutôt vainement), tout en ressassant plusieurs formules éprouvées faisant montre de paresse dans le recyclage de concept de Ready or Not au slasher et à cette idéologie de la Final Girl (sans la présence magnétique de Samara Weaving).
Cette nouvelle collaboration avec le compositeur Bryan Tyler permet d’accomplir le travail demandé, mais sans plus, alors qu’on aurait pu davantage jouer avec le thème du Lac des Cygnes de Tchaïkovski utilisé pendant tout le film. Un peu comme Clint Mansell s’était amusé à le décliner dans sa trame sonore pour Black Swan, bref.
Abigail demeure donc compétent. Divertissant, aussi. Sauf qu’il ne faut pas trop en demander, il faut baisser les attentes (si celles-ci existent) et il faut considérer qu’au moment où chaque revirement a lieu, on risque rapidement de les oublier. Un no-brainer comme on dit, finalement, ce qui, quand on veut se changer les idées, n’est quand même pas trop de refus.
6/10
Abigail a pris l’affiche en salle le vendredi 19 avril.