Pourquoi sommes-nous assis, dans une salle obscure, pour regarder des gens inventer un monde devant nous, sur scène? La question paraît relativement simple, mais dans La suspension consentie de l’incrédulité, l’animatrice, journaliste culturelle, autrice et maintenant comédienne Émilie Perreault démontre que le sujet est bien plus foisonnant qu’on pourrait le penser.
Celle qui a déjà publié des ouvrages sur la culture – Service essentiel et Faire oeuvre utile, qui a d’ailleurs été transposé au petit écran – poursuit ici son exploration de ce phénomène social, qui comprend non seulement cette idée de laisser aller son imagination, le temps d’une pièce, d’où le titre, mais aussi le concept de participer à quelque chose de plus grand que soi, une sorte de communion athée pour viser un moment d’émerveillement collectif.
« C’est dans le même sillon (que ses oeuvres précédentes, NDLR), c’est cela qui m’anime », indiquait d’ailleurs Mme Perreault en entrevue, quelques jours avant la première de son spectacle. « C’est ce que j’ai envie de faire, avec la tribune que j’ai, c’est de parler de l’importance de l’art dans nos vies. »
L’idée, mentionne Mme Perreault, a été suggérée par la directrice artistique du festival Fou de théâtre, à L’Assomption, dans la foulée de la sortie de Service essentiel. « L’idée n’était pas d’écrire une conférence, mais de voir comment on pouvait amener ce concept plus loin. Pour moi, c’est vraiment le prolongement de Faire oeuvre utile, de Service essentiel; il y a des notions évoquées dans les deux livres que l’on retrouve dans la pièce, mais dans ce cas-ci, c’est un hommage aux arts vivants, et plus particulièrement une réflexion sur le rôle du spectateur. »
Lors de la représentation, d’ailleurs, qui est donnée dans les coulisses de chez Duceppe, à la Place des Arts, en formule 5 à 7, Mme Perreault commence en étant assise dans le public, et s’adresse à une petite scène vide. Et tout au long de l’heure qui s’ensuivra, elle mêlera réflexions philosophiques sur l’importance de l’art – et l’importance d’assister à l’art – à des anecdotes ayant parsemé sa longue carrière de « spectatrice professionnelle ».
« Il y a vraiment une réflexion sur les codes du théâtre, et je ne pense pas que cela a été fait, dans ce sens-là, jusqu’à présent », a poursuivi l’artiste, toujours en entrevue.
Mme Perreault a d’ailleurs reconnu que certaines personnes allant voir sa pièce pourraient déjà être impliquées, de près ou de loin, dans le milieu culturel, surtout si elles ont par exemple déjà acheté ses livres. Mais plutôt que de craindre de prêcher à des convertis, l’artiste croit plutôt que ces gens déjà « initiés » pourraient faire office de « passeurs », afin de transmettre cet intérêt à d’autres personnes.
« Le spectacle ne s’adresse pas aux gens du milieu; il s’adresse vraiment aux spectateurs, ce sont mon public cible. En même temps, je me rends compte que cela touche beaucoup les membres du milieu culturel. Je crois que mon propos résonne beaucoup, auprès de ces gens, parce que je viens nommer la raison d’être de leur travail, et ça fait du bien, des fois, à ces gens, de se sentir validés. »
Malgré cette volonté de plaire à tous, c’était bel et bien un grand nombre de gens du milieu qui étaient présents lors de la première médiatique, que ce soit des comédiens, ou encore, à l’instar de ce journaliste, des membres de la presse qui couvrent déjà la sphère culturelle. La chose était normale, sans aucun doute, mais il est permis de se demander si l’exercice n’aurait pas davantage de sens hors des murs des grandes institutions culturelles de la métropole.
Pourquoi ne pas aller voir le spectateur occasionnel chez lui, par exemple? En offrant une représentation d’une heure, à 17h30, dans les coulisses de Duceppe, ne se condamne-t-on pas à entretenir certains clichés, malgré la collation et la boisson offertes?
Quoi qu’il en soit, dans La suspension consentie de l’incrédulité, Émilie Perreault pose des questions tout à fait pertinentes sur l’importance de la culture, sur l’importance de vivre la culture, de la ressentir, que ce soit pour l’apprécier follement, la détester, ou toutes les possibilités contenues entre ces deux options. Après tout, la culture est autant un phénomène personnel que collectif, et cette pièce propose certainement des clés pour y voir plus clair.
La suspension consentie de l’incrédulité, d’Émilie Perreault, présenté chez Duceppe jusqu’au 10 mai 2024