Habitué de déconcerter ses spectateurs, le cinéaste Alex Garland continue d’avancer toujours promptement dans le territoire risqué des œuvres polarisantes. Son vibrant Civil War, qu’il soit ou non déjà son chant du cygne, continue à nouveau de nous placer face à notre inconfort, alors que nous sommes situés aux premières loges de l’horreur.
Pour Garland, la fin de l’homme avec un grand « H » semble imminente. Toutefois, ce sont plutôt les paramètres de sa survie qui semblent à la fois le fasciner et l’obséder. Délaissant les envolées plus fantaisistes et métaphoriques d’un futur fantasmé (ou craint, c’est selon) et sans délaisser la science-fiction, bien que la technologie soit le dernier des soucis de son plus récent film, le cinéaste s’oriente cette fois vers un univers plus terre à terre que jamais.
De fait, dans le futur proche apocalyptique d’une Amérique complètement divisée et dont la chute est imminente, il nous place dans le camp d’une bande de journalistes qui ont décidé de traverser le pays pour obtenir une entrevue exclusive avec le Président avant qu’il ne soit trop tard. Un groupe particulièrement dépareillé, mentionnons-le.
Forte des images toujours aussi évocatrices du complice Rob Hardy, la mise en scène coupée au couteau de Garland impressionne et tire avantage de ses lieux (véritables ou habilement reproduits en studio), tout comme de cadrages dont la force est indéniable. Comme quoi, en retrouvant plusieurs de ses collaborateurs habituels, le cinéaste parvient quand même à faire émaner une part de poésie dans des sujets aux sources angoissantes et une approche qui pourrait sembler plus plaquée et frontale qu’à ses habitudes.
Ainsi, mélangeant les genres d’un long-métrage à mi-chemin entre la catastrophe et l’apocalypse, il arrive sans mal à y inclure drame et comédie au passage, grandement aidé par une distribution de premier ordre.
Retrouvant Nick Offerman, Stephen McKinley Henderson et la jeune Cailee Spaeny (la Priscilla de Coppola) qu’il a dirigés dans sa minisérie Devs, Alex Garland greffe à l’ensemble Wagner Moura (qui n’est pas sans rappeler la présence magnétique de Oscar Isaac dans son inoubliable premier film Ex Machina), et la toujours impériale Kirsten Dunst.
Cette dernière lui permet une fois de plus de poser son projet sur les épaules d’une protagoniste féminine féroce. On regrette toutefois que le cameo de son copain de ville Jesse Plemons a été ruiné par les campagnes promo.
Mieux, si la participation des fidèles Geoff Barrow et Ben Salisbury à la trame sonore s’avère plus discrète que ce à quoi on nous a habitués, c’est pour laisser plus de place à une sélection musicale de haut calibre qui apporte une dimension pratiquement divertissante et engageante à un projet qui autrement aurait pu paraître beaucoup plus lourd à visionner. Comme quoi, musicalement, Garland s’assure encore de déstabiliser, mais peut-être pas de la manière qu’on s’y attend.
Pour le reste, on retrouve notamment ce qui pourrait être les ruines de Cloverfield, sans les créatures, l’anticipation de Jarhead sans le dépaysement et même le côté militaire à la Zero Dark Thirty, qui parvient dans son dernier tiers à pleinement justifier ce choix singulier quoiqu’ultimement convaincant d’offrir le tout en format IMAX.
Comme on nous place continuellement dans le feu de l’action, on se retrouve ainsi avec une œuvre assez accessible qui, bien que la politique plane continuellement dans chaque recoin, n’est pas nécessairement une œuvre uniquement axée sur le sujet. Il faut préciser aussi que l’ensemble est continuellement cinématographique et que cette décision de l’avant-plan ne lui donne jamais des airs de jeux vidéos, comme cela arrive régulièrement quand on donne dans cette perspective.
C’est peut-être également ce désir de rester sur le qui-vive qui empêche en quelque sorte le film de s’avérer aussi marquant que d’autres œuvres, puisqu’on sent qu’on aurait pu mieux creuser et/ou développer certains aspects, ses réflexions sur le journalisme en premier. D’autant plus que c’est habituellement la force des films de Garland, pourtant d’abord auteur et scénariste avant d’être réalisateur.
Sans nécessairement être artificiel, le récit emprunte ainsi des voies convenues (parfaitement bien intégrées dans la mythologie habituelle de son créateur, la question de la dualité en premier) et qui ont comme attrait principal de déranger, puisque ce qu’on y découvre pourrait sans l’ombre d’un doute être le genre de lendemains qui nous attendent au tournant.
Civil War est donc une œuvre forte qui a une intelligence supérieure aux films du genre, sans pour autant avoir ce je-ne-sais-quoi de plus pour l’élever vers quelque chose de plus mémorable. Il n’en demeure pas moins que dans son désir de nous faire vivre une expérience marquante, Garland y parvient avec grand succès.
7/10
Civil War prend l’affiche en salle ce vendredi 12 avril.