Publicités pour des produits « naturels » censés protéger de la COVID, construction de communautés en ligne et appel au sens des responsabilités des mères de famille : ce sont trois caractéristiques communes à trois populaires influenceuses opérant dans des secteurs différents mais qui partagent, sur Instagram, des informations fausses sur les vaccins et les maladies. Et qui en tirent beaucoup de revenus.
Trois chercheuses de l’Université de Washington décrivent le parcours de ces trois influenceuses dans une analyse parue ce mois-ci dans l’International Journal of Communication. Et ce qui a suscité leur intérêt, c’est l’économie: alors que beaucoup de recherches ont été publiées ces dernières années sur la désinformation comme outil politique ou sur ses impacts sociaux, le fait que la désinformation soit aussi un phénomène économique est peut-être resté un angle mort, souligne la co-auteure, Rachel Moran, de l’École d’information de l’Université de Washington.
En fait, les médias en ont parlé, mais souvent autour de gens qui ont perdu leur chemise à cause d’une arnaque. Ce faisant, dit Rachel Moran, on aurait perdu de vue « que nous sommes arnaqués de toutes sortes de façons sur une base quotidienne. Quand nous nous faisons dire que tel produit fonctionne alors que ce n’est pas le cas, ou à un niveau plus dangereux, quand nous nous faisons dire de choisir certains produits plutôt que ceux validés par des données scientifiques et médicales solides. »
Mieux comprendre ces « mécanismes économiques » pourrait aider à comprendre « pourquoi nous sommes si attirés par la désinformation » —son « nous » ne référant pas à une poignée de gens naïfs, mais à nous tous, susceptibles de tomber dans les pièges des désinformateurs.
Instagram en tête d’un triste palmarès
Bien qu’on ne pense pas souvent à Instagram lorsqu’il s’agit de diffusion de fausses nouvelles, des rapports récents ont observé que cette plateforme (propriété de Meta, tout comme Facebook) avait récemment, aux États-Unis, devancé TikTok et Reddit: 16% des adultes disaient en novembre qu’ils allaient y chercher les nouvelles, selon un sondage du Centre de recherche Pew.
Que l’écosystème de la désinformation en santé soit lucratif en ligne, en partie grâce à la « monétisation » des contenus que permettent les grandes plateformes, n’est évidemment pas une découverte. Des observateurs l’avaient constaté sur Facebook dès avant la pandémie; cette dernière est devenue pour des vendeurs de toutes sortes de produits douteux une « opportunité », constatait-on en 2021. Le mois dernier, c’était au tour du quotidien Washington Post de révéler, à partir des rapports d’impôt de quatre organismes devenus très populaires pendant la COVID, que ceux-ci avaient récolté des revenus de 118 millions$ US entre 2020 et 2022. Tous quatre sont en théorie des organismes à but non lucratif et le plus gros, Children’s Health Network, s’est fait connaître depuis les années 1990 pour ses fausses informations sur les vaccins.
Et il ne faut pas oublier —comme le mentionnent les trois chercheuses dans leur introduction— le site américain d’extrême-droite Infowars, du très populaire influenceur Alex Jones, dont un procès pour diffamation a révélé en 2022 qu’il avait récolté des revenus d’au moins 165 millions$ entre 2015 et 2018, rien qu’en vendant des « suppléments alimentaires » et autres pseudo-produits de « santé naturelle ».
Cela pose la question de « l’éducation aux médias » (media literacy), souligne encore Rachel Moran. « Comment fournissons-nous aux gens les habiletés nécessaires pour se rendre compte quand ils sont arnaqués? »