Il est fascinant de constater qu’en 2024, il soit à la fois tout à fait possible d’écrire un recueil de nouvelles érotiques destiné au grand public, une oeuvre qui sera installée dans les présentoirs à l’entrée des librairies, tout en éprouvant le sentiment, à la lecture dudit recueil, que nous vivons quelque chose de transgressif. Jouissive, de l’autrice Natalie-Ann Roy, réussit ce tour de force.
Transgressif, oui, car Mme Roy, après avoir codirigé les deux recueils Libérer la colère et Libérer la culotte, a ici dit souhaiter donner dans la légèreté, dans la liberté. Histoire non seulement de nous offrir une littérature érotique, mais surtout, on peut s’en douter, de combattre ses propres traumatismes, l’autrice ayant été agressée par le passé.
Nous voilà donc devant une série de courtes nouvelles qui se déclinent comme une célébration de la sexualité, des envies, des fantasmes… Nulle question, d’ailleurs, de nous proposer quelque chose à l’eau de rose – ce qui aurait été dans le droit de l’autrice, bien entendu. Non, ici, Natalie-Ann Roy réussit quelque chose que l’on voit rarement dans cet univers littéraire. Ou, certainement, dans l’univers érotique dans son ensemble: l’autrice trouve un juste milieu entre une sexualité accueillante et positive, où les personnages ont des échanges normaux, y compris lorsqu’une personne essuie un refus à des avances, et cette envie de vivre ses fantasmes. Un beau numéro d’équilibrisme littéraire.
Après tout, ces récits de collègues qui se séduisent lentement avant de se sauter dessus, ou cette histoire de gars de la construction qui finit par prendre une jeune femme dans une maison en rénovation… tout cela a un petit côté cliché, mais la chose est si bien amenée, si bien décrite, que l’on se prend volontiers au jeu. Et au-delà de l’aspect pornographique de ces histoires – l’une des nombreuses facettes des différents textes, faut-il préciser–, ce sont les connexions entre les personnages, si ténues soient-elles, qui permettre aux récits de se distinguer dans l’océan trouble de la porn mal écrite.
Autre tour de force de la part de l’autrice de Jouissive: trouver le ton juste pour permettre au lecteur (ou à la lectrice) de véritablement « vivre » ces histoires. Car écrire des textes érotiques semble être accompagné d’un défi tout particulier: oui, on peut sans doute s’identifier au héros dans un roman d’aventures, ou à la jeune femme dans de la chick lit, pour ne donner que ces deux exemples, mais lorsqu’il est question de sexualité, il s’agit généralement de quelque chose d’extrêmement intime, qui se joue très largement entre nos deux oreilles.
Bien souvent, on écrira quelque chose qui nous excitera, ou nous donnera chaud, mais il n’est pas question, ici, de se créer un scénario dans sa tête. Il s’agit plutôt de faire vivre son imaginaire à des milliers de personnes inconnues. Et c’est là un gigantesque champ de mines… figurativement parlant, bien sûr.
Pourtant, Natalie-Ann Roy y parvient tout au long de ses nouvelles. De quoi, d’ailleurs, délicieusement pimenter les rêves de ce journaliste, après sa lecture.
À la fois bienveillante et très souvent furieusement érotique, la littérature de Jouissive est un rappel qu’une sexualité saine, libérée et respectueuse, est tout à fait possible, y compris entre les pages d’un livre. Et c’est sans doute cela, la véritable transgression de l’ouvrage.