Pour être un auteur noir, faut-il absolument écrire sur les Noirs? En parlant l’argot des coins de rue? C’est la question que pose Cord Jefferson, réalisateur et scénariste d’American Fiction, un film aussi savoureux que frondeur mettant en vedette Jeffrey Wright.
Wright avait déjà largement fait ses preuves au fil des ans, y compris dans diverses déclinaisons de James Bond, ou encore dans The Batman, voire dans Asteroid City, entre autres nombreuses contributions au septième art; le voilà qui se glisse joyeusement dans la peau de Thelonious « Monk » Ellison, un auteur et professeur d’université particulièrement intelligent et vif d’esprit, mais dont la carrière d’auteur bat de l’aile.
Frustré par la timidité intellectuelle de certains étudiants, fâché de l’à-plat-ventrisme de l’université, et ulcéré par sa famille dysfonctionnelle, le voilà qui, après avoir été confronté à la mort de sa soeur, décide de faire un pied de nez au milieu littéraire et rédige un roman « vérité » en se faisant passer pour un type « de la rue ».
Après tout, si une autrice noire éduquée dans les meilleures écoles, et qui est passée par l’un des grands magazines américains, peut remporter des prix et faire fortune avec son propre « récit du ghetto », pourquoi pas lui?
Et le pire, c’est que ça marche. Ça marche trop bien, même. Et notre protagoniste devra gérer, en parallèle, sa vie personnelle qui ne fonctionne que partiellement, et sa « vie d’artiste » inventée du tout au tout, mais qui fascine le public.
Avec ce film – son premier comme réalisateur –, Cord Jefferson s’amuse clairement en jouant avec les différents niveaux de signification de cet épineux sujet. Misérabilisme culturel, white guilt, commercialisation de la littérature, , autoflagellation et autodestruction, espoirs d’une vie meilleure… tout y est, et tout s’incarne au sein du personnage de Wright, qui est interprété de façon magistrale.
Oeuvre drôle, certes, mais aussi – et surtout – oeuvre qui fait réfléchir, avec ses nombreux niveaux d’interprétation et ces personnages se situant très, très loin de l’unidimensionnalité, American Fiction ose mettre le doigt sur le proverbial bobo, à une époque où les questions raciales sont trop souvent excessivement politisées et risquées.