Les pertes du PIB mondial imputables à la crise climatique prendront de l’ampleur de façon exponentielle, à mesure que la planète se réchauffera, en raison de l’impact « en cascade » sur les chaînes d’approvisionnement, indique une nouvelle étude du University College de Londres (UCL).
Les travaux en question, publiés dans Nature, sont les premiers à évaluer les « pertes économiques indirectes » découlant des changements climatiques, en lien avec les chaînes d’approvisionnement, pertes qui affecteront les régions qui auront été relativement épargnées par les hausses projetées des températures.
Ces chambardements imposés aux chaînes d’approvisionnement, précédemment non quantifiés, viendront exacerber les pertes économiques liées à la crise climatique, ce qui équivaudra à un manque à gagner allant de 3750 à 24 700 milliards de dollars d’ici 2060, en fonction de la quantité de dioxyde de carbone qui sera émis.
Selon le principal auteur de l’étude, le professeur Dabo Guan, « ces impacts économiques projetés sont massifs. Ces pertes vont prendre de l’ampleur à mesure que la planète va se réchauffer, et lorsque vous tenez compte des effets sur les chaînes d’approvisionnement, cela démontre que toutes les régions de la planète sont à risque d’encaisser des chocs économiques ».
« À mesure que l’économie mondiale est devenue interconnectée, des problèmes dans une partie du monde auront des répercussions ailleurs sur la planète, parfois même de façon inattendue. Les mauvaises récoltes, les ralentissements du marché du travail et d’autres problèmes, dans une région, peuvent affecter l’approvisionnement des matériaux bruts ailleurs dans le monde, ce qui vient à son tour transformer le secteur manufacturier et les échanges commerciaux », a-t-il ajouté.
Plus notre Terre se réchauffe, pire est la situation économique, alors que les dégâts s’accumulent et que les pertes économiques augmentent de façon exponentielle en lien avec la hausse de la température. La crise climatique affecte l’économie mondiale en raison des coûts de santé liés aux gens souffrant d’exposition aux canicules, l’arrêt du travail lorsqu’il fait trop chaud, et des effets économiques en cascade liés aux chaînes d’approvisionnement.
Dans le cadre de leurs travaux, les chercheurs ont comparé les pertes économiques attendues en vertu de trois scénarios de réchauffement qui s’articulent autour de trois niveaux d’émissions polluantes.
En vertu du meilleur scénario, la température mondiale moyenne n’augmenterait que de 1,5 degré Celsius, d’ici 2060, par rapport aux niveaux pré-industriels; le deuxième, soit celui vers lequel la plupart des experts estiment que la Terre se dirige présentement, soit un réchauffement de 3 degrés, et le scénario du pire, avec une hausse de 7 degrés.
D’ici 2060, les pertes économiques prévues seront jusqu’à cinq fois plus importantes selon le scénario du pire, l’impact augmentant progressivement, tout comme la température. D’ici une trentaine d’années, donc, le manque à gagner équivaudrait à 0,8% du PIB mondial selon un réchauffement de 1,5 degré, 2% en vertu d’un réchauffement de 3 degrés, et 3,9% si la température bondit de 7 degrés.
L’équipe a calculé que les impacts sur les chaînes d’approvisionnement seraient elles aussi de pire en pire en fonction du réchauffement. En vertu des différents scénarios de pollution, leur effet sur le PIB mondial serait de 0,1%, 0,5% et 1,5%, respectivement.
De l’avis du Dr Daoping Wang, coauteur de l’étude, « les impacts négatifs de la chaleur extrême se produisent parfois discrètement au sein des chaînes d’approvisionnement, en échappant même à notre regard. Notre modèle permet de suivre et de représenter visuellement ces impacts, en soulignant l’importance des efforts collaboratifs pour s’adapter à ces chaleurs extrêmes ».
Et même les régions habituellement relativement épargnées par les cas de chaleur extrême, comme l’Europe et les États-Unis, sont aussi à risque. Selon les scientifiques, le Vieux Continent pourrait perdre 2,2% de son PIB, contre 3,5% pour les États-Unis, en vertu du pire scénario d’émissions polluantes.
La population durement touchée
Et les impacts chez les humains ne sont certainement pas négligeables, non plus. Même en vertu du plus faible scénario d’émissions, d’ici 2060, on comptera 24% plus de journées de vagues de chaleur extrême, ainsi que près de 600 000 décès supplémentaires attribuables à la chaleur, alors qu’en vertu du pire scénario, on parlerait plutôt de 50% de journées de chaleur extrême et jusqu’à 1,2 million de morts additionnelles imputables à ces chaleurs.
Ces effets ne seraient pas répartis équitablement à travers le monde, mais se concentreraient plutôt près de l’Équateur, les pays de la région, déjà sous-développés, étant les plus touchés.
Les chercheurs ont aussi identifié deux exemples démontrant que plusieurs industries sont fragiles, en raison de leurs longues et complexes chaînes d’approvisionnement, soit la nourriture indienne et le tourisme en République dominicaine.
En Inde, l’industrie alimentaire dépend largement de l’importation de produits gras et d’huiles en provenance d’Indonésie et de Malaisie, du sucre brésilien, ainsi que des légumes, fruits et noix de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique.
Ces pays producteurs font partie des zones les plus touchées par la crise climatique, ce qui réduit l’accès de l’Inde aux matériaux et produits bruts, et ultimement ses propres exportations de nourriture. Les économies des pays dépendant de ces exportations subiront un contrecoup, à leur tour, sous la forme d’une baisse de l’offre et d’une hausse des prix.
La République dominicaine, elle, devrait enregistrer une baisse de son tourisme, alors que son climat deviendra trop chaud pour attirer les vacanciers. Puisque le pays dépend largement de cette industrie, ce ralentissement aura un effet négatif sur d’autres secteurs de l’économie qui sont normalement plus résilients, comme la fabrication, la construction, les assurances, etc.
Au dire du Pr Guan, « cette étude est un rappel important que le fait de prévenir tous les degrés de réchauffement est essentiel. Comprendre quelles nations et industries sont les plus vulnérables est crucial pour concevoir des stratégies d’adaptation ciblées et efficaces ».