Les années passent; la mémoire se délite. Les fonctions motrices aussi. Face à la lente, mais inéluctable, marche du temps, que peuvent accomplir trois garçons, trois hommes à qui les mots et les moyens manquent? Dans sa première pièce de théâtre intitulée Chevtchenko, Guillaume Chapnick tente de répondre à cette épineuse question.
Sur les planches du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, donc, les Chevtchenko-Tremblay tentent de faire face, le plus vaillamment possible, à ce déclin du patriarche, Stefan, atteint de démence et d’une rare maladie dégénérative. Pendant la mère / l’épouse est absente, il en revient donc aux trois enfants, tous des jeunes hommes, d’assurer le maintien d’une certaine qualité de vie.
Mais ne se transforme certainement pas en proche aidant qui veut. Il faut non seulement gérer le fonctionnement au quotidien, avec une personne dont la réactivité et le côté « fonctionnel » peut changer sans préavis, mais il faut aussi accepter que la figure paternelle, cette idée d’un père indestructible, une force de la nature, une personne qui a toujours veillé sur nous, est maintenant déconstruite un jour à la fois.
Comment combiner la masculinité, une masculinité bien souvent plus traditionnelle, voire toxique, avec cette maladie, et le fait qu’il faudra, plus tôt que tard, changer la couche souillée de son propre père?
Devant cette tâche, les trois jeunes hommes sont tour à tour désemparés, résignés et ulcérés devant ce qu’ils considèrent comme une injustice. Et à travers le prisme de cette lente disparition du père, ils en viennent aussi, forcément, à réexaminer leur propre relation. On comprendra assez vite, en effet, que tout n’est pas rose chez les trois fils.
En mêlant habilement la disparition du personnel, sous la forme du père malade, et du commun, avec cette idée du patrimoine ukrainien qui disparaît, non seulement sous les bottes des envahisseurs russes, mais aussi sous l’effet du temps, Guillaume Chapnick offre un fort réussi mélange de l’intime et de l’universel.
Son choix, également, d’opter pour un décor quasi minimaliste, avec des murs représentés par de légers rideaux de toile, le tout dans la salle intime du CTDA, vient renforcer cette impression qu’il est impossible d’échapper aux effets de la maladie et à son impact sur toute la famille. En fait, c’est comme si le public était prisonnier, en un sens, et devait lui aussi encaisser la lourdeur de la vie, l’aspect implacable du mauvais sort.
Oeuvre simple et complexe, Chevtchenko est une pièce coup-de-poing qui exprime toute la douleur des hommes devant l’inexorable déroulement de la vie. À voir.
Chevtchenko, de Guillaume Chapnick; mise en scène de Marine Theunissen; avec Guillaume Chapnick, Gregory Hlady, Quentin Kravtchenko, Alexander Peganov, Jean-Sébastien Lavoie et Francine Alepin
Présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 23 mars