Dérivé direct du recueil de récits de guerre du même nom, la pièce 5 balles dans la tête présente – étape par étape et à la manière d’un documentaire au ton hautement didactique – la démarche de Roxanne Bouchard dans son projet colossal de restauration de la mémoire traumatique des militaires.
De ses rencontres (toujours arrosées – la bière aidant à délier les langues) émaneront maintes confidences qui permettront à l’autrice d’étoffer sa recherche et de noircir les pages de son futur essai consacré à la vie éprouvante de ces hommes et femmes ayant fait la guerre. « Y’a jamais personne qui a voulu nous entendre, madame la romancière.» « Moi, oui. On part ça? »
On suit donc ici l’alter ego de Bouchard, Sylvie De Morais, motivée par une irrépressible envie de comprendre ce que les militaires ont vécu à la guerre, mais surtout les souffrances qui les habitent en permanence. Et pour que son travail prenne tout son sens, elle agira comme relais de leur parole. Une tâche extrêmement confrontante.
De ses entretiens avec les membres actifs ou retraités des Forces armées canadiennes ayant participé à différentes missions (principalement en Afghanistan – la pire de toutes), l’autrice ne sortira pas indemne.
Très affectée par tous ces récits horribles, Bouchard confie qu’elle a dû consulter un psy qui lui a fortement conseillé de prendre du recul afin de ne pas devenir victime « du syndrome post-traumatique par empathie ». Car les soldats se sont abondamment ouverts sur les pires moments de leur vie. Elle en voulait des histoires, elle en a eu. Des histoires abondantes qui l’ont transformée.
Bien enrôlée, all in, elle discute avec tous les corps de métier de l’armée (artilleurs, soldats, blindés, pilotes d’hélicoptère, ingénieurs de combats, assistants médicaux) qui lui livrent sans filtre autant de témoignages plus horribles les uns que les autres. Plus ils ont confiance, plus ils oublient la présence de l’intellectuelle et plus ils se dévoilent… sur leurs peurs, leurs stress, leurs peines, leurs frustrations, leurs cauchemars, détails atroces et chiffres multiples à l’appui.
La civile prend même part à une série d’exercices militaires, question de le vivre et de le comprendre vraiment (ça faisait partie des conditions). Tirer du canon, c’est normal pour ces fiers à bras survoltés, mais combien déstabilisant pour elle. Dans un champ de tir à Val Cartier sous une petite neige délicate, c’est presque rigolo, mais à Kandahar, ça frappe fort. Y’a des gens qui meurent pour vrai.
Le personnage principal évolue aux côtés d’une distribution cinq étoiles campant avec brio les divers corps de métier (Philippe Cousineau, Maxim Gaudette, Frédéric Millaire Zouvi, Éric Robidoux, Joakim Robillard, Lou Vincent-Desrosiers et Éric Vega). Le décor sobre, meublé de robustes caissons gris, souligne la froideur de ce milieu endurci.
En entrant dans cet univers aride, Roxanne Bouchard a dû faire la guerre à ses préjugés. Au terme de sa difficile mission, elle est ressortie plus ouverte à l’autre, rassurée de réaliser que les cœurs ne sont pas tous blindés comme des tanks.
La pièce 5 balles dans la tête est présentée au théâtre La Licorne jusqu’au 6 avril.