Ces derniers jours, la perspective d’une famine à Gaza a pris la forme de ces images d’enfants émaciés, voire mourants, en plus des rapports faisant état d’enfants morts de faim. Quels sont les critères pour parler d’une famine, dans le langage de l’aide humanitaire internationale et, que c’en soit une ou pas, a-t-on passé un point de non-retour pour les plus vulnérables parmi cette population?
Les Nations unies utilisent une échelle à cinq niveaux, appelée le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (en anglais, IPC). Au premier niveau, on parle d’une sécurité alimentaire « minimale ». Au cinquième et dernier niveau, d’une famine.
À partir du troisième niveau (« crise »), l’IPC invoque une « action urgente requise » pour « protéger des vies » et pour réduire des « écarts dans la consommation alimentaire ». À partir du quatrième niveau (« urgence »), l’action est requise pour carrément « sauver des vies ». Cette échelle a eu traditionnellement pour but de fournir aux décideurs des pays plus riches des informations sur les régions du monde nécessitant des interventions de toute urgence, soit celles des niveaux 3 à 5.
Depuis la création de l’IPC en 2004, deux famines ont été officiellement identifiées: en Somalie en 2011, et au Soudan du Sud en 2017. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés évoque aussi le Yémen et l’Éthiopie, mais elle est confrontée au fait que les informations fournies par les autorités de ces pays sont très incomplètes. De plus, en 2021, ce serait le gouvernement éthiopien lui-même qui aurait refusé que l’on qualifie la situation dans la région du Tigré de « famine ».
L’IPC parle d’une « famine » lorsqu’au moins 20 % de la population fait face à un manque « extrême » de nourriture, qu’au moins 30 % des enfants souffrent de malnutrition, et qu’au moins 4 enfants par 10 000, et 2 adultes par 10 000, meurent chaque jour de faim ou de maladies liées à la malnutrition. C’est ce qui explique qu’une situation puisse être devenue « catastrophique » (niveau 5) depuis un bon moment, avant que toutes ces « conditions » ne soient remplies.
En réalité, un pays est toujours à cheval sur plus d’une catégorie. En Somalie par exemple, plus de 2 millions de personnes font face à une insécurité alimentaire « urgente » (niveau 4) et au moins 300 000 à une situation « catastrophique ».
Une situation qui empire
Dans le cas de Gaza, le seul rapport de l’IPC remonte à décembre. Sa principale conclusion était alors que l’ensemble des 2 millions d’habitants de ce territoire de 365 km2 faisait face à une « insécurité alimentaire du niveau d’une crise ou plus » — en d’autres termes, de niveau 3 ou plus. Le rapport prévenait que la situation ne pouvait que continuer à se dégrader, tant que la guerre se poursuivait.
Une deuxième analyse est en cours, confirme l’IPC sans promettre de date pour sa publication.
Le 1er mars, le porte-parole local de l’Organisation mondiale de la santé évoquait 10 enfants officiellement morts de faim. Le 5 mars, les autorités de Gaza évoquaient 15 enfants morts de malnutrition ou de déshydratation dans les hôpitaux. Le 6 mars, le coordonnateur des Nations unies pour l’aide humanitaire évoquait « au moins 20 morts ».
À travers le territoire, c’étaient 90% des enfants de 6 à 23 mois ainsi que la majorité des femmes enceintes ou allaitant, qui faisaient face à des manques critiques de nourriture, selon un rapport d’une alliance d’organismes incluant l’UNICEF —mais ce rapport remonte déjà à la mi-février.
Il faut rappeler que la malnutrition chez les enfants se traduit, dans les moins pires des scénarios, par des retards de développement et par une plus grande vulnérabilité à des maladies infectieuses. Sur ce dernier point, c’est dès décembre que les médecins, sur place et à distance, ont commencé à évoquer des risques d’éclosions incontrôlées de varicelles, d’infections des voies respiratoires caractéristiques des lieux surpeuplés, et même des risques de choléra, à cause de l’eau contaminée. C’est en plus des taux de diarrhées chez les enfants, qui étaient déjà supérieurs aux niveaux jugés sécuritaires.