Du mécanique plaqué sur du vivant… Qu’est-ce qui peut mieux illustrer la maxime d’Henri Bergson, lorsqu’il décrit ce qui suscite, le rire que les mouvements d’une marionnette ressemblant comme deux gouttes d’eau à chacun d’entre-nous? Loco en fait la magistrale démonstration. Sans doute le personnage de Poprichtchine, créé par Nikolaï Gogol, sombre-t-il peu à peu dans la folie. Mais sa folie nous rejoint par de multiples aspects qui appartiennent simplement à la nature humaine.
Le Journal d’un fou est le journal intime de Poprichtchine; sa merveilleuse, humoristique et poétique adaptation par la compagnie belge Belova-Iacobelli, nous donne accès à la vie très ordinaire de petit employé du héros, à ses fantasmes grandioses et à ses inhibitions tragiques.
De son travail de copiste pour la commune où il vit, lui qui a fait des études et provient d’une bonne famille, ressort quelque chose d’une obsession pour la paperasserie, l’écriture, les petits billets, son journal intime, ce qu’il lit dans la presse et qu’il interprète à sa façon. Un poisson aurait dit des mots dans une langue qui met en échec les chercheurs du monde entier, deux petites chiennes de son entourage ont non seulement des conversations mais une relation épistolaire, il parait qu’en Chine, deux vaches seraient entrées dans un magasin pour y faire des achats… Mais il est déchiré par sa position modeste de gratte-papier qui ne lui donne aucune chance d’être remarqué par la fille du Bourgmestre dont il est amoureux…
Le génie du spectacle Loco, proposé dans le cadre du festival Les Casteliers, est de nous faire accéder à tous les fantasmes et impuissances du personnage. Deux géniales marionnettistes prêtent leurs bras, leurs jambes et même leur chevelure abondante au maniement de Poprichtchine.
Cela produit un effet extraordinairement drôle et réaliste – bien plus touchant que ne pourrait l’être n’importe quel acteur vivant – pour ce personnage qui donne autant envie de rire que de pleurer, qui est à la fois navrant et tellement attachant.
Il est très difficile de décrire avec quelle habileté, quel jeu chorégraphique les deux artistes sur scène parviennent à faire vivre le protagoniste de l’histoire qui, dans une mise en scène féérique, se retrouve au centre d’objets géants et hors du commun aux comportements inattendus, faits de tous ces milliers de petits papiers qui se retrouvent jusque dans son lit.
Les frustrations quotidiennes de Poprichtchine le transforment en doux-dingue plus qu’en véritable fou. Une homme ordinaire comme sa vie, mais qui rêve de mieux et qui ne se limite pas dans la grandeur de ses rêves, lui qui est incapable d’améliorer le réel de sa monotone existence.
LOCO
Compagnie Belova-Iacobelli (Belgique)
Mise en scène : Tita Iacobelli et Natacha Belova
Texte : librement inspiré de Le Journal d’un Fou (1834) de Nicolas Gogol
Scénographie : Natacha Belova et Camille Burckel de Tell
Marionnettes : Natacha Belova et Loïc Nebreda
Musique : Simón González
Éclairage : Christian Halkin
Interprétation : Tita Iacobelli et Marta Pereira
Chorégraphie et regard extérieur : Nicole Mossoux
Costumes : Jackye Fauconnier