Peut-on aujourd’hui encore monter une pièce de théâtre du XVIIe siècle français dans ses alexandrins originaux et rejoindre au plus près les préoccupations de ses contemporains? C’est ce que prouve la mise en scène du Misanthrope de Florent Siaud. Avec une distribution brillante, une scénographie inventive et de très beaux décors blanc immaculé au début du spectacle, l’intrigue et les dialogues de cette oeuvre constituent un reflet fidèle d’une partie de la société dans laquelle nous vivons et, plus profondément, s’appuient sur des constats éternels de ce que l’on peut espérer de nos rapports humains.
Alceste est davantage atrabilaire que misanthrope. Ce n’est pas qu’il déteste le commerce avec ses semblables, c’est qu’il dénonce chez eux l’hypocrisie, les faux semblants et autres compromissions. On le comprend, mais son rêve d’une société où chacun pourrait dire la vraie vérité vraie sur ce qu’il pense que sont les autres est totalement chimérique.
Ce désir d’Alceste est non seulement irréaliste, mais aussi passablement prétentieux. D’autant que dans ses rapports amoureux, il se détourne des femmes qui auraient les qualités rêvées et s’est paradoxalement épris de celle qui est la plus détestable si l’on suit sa doctrine. Célimène est une jeune veuve qui multiplie les conquêtes amoureuses et se moque de son prétendant et de son idéal dans ses comportements quotidiens.
Ainsi Alceste est davantage ce qu’on nomme un atrabilaire : la noirceur de son entourage lui est insupportable et il noircit encore le tableau en rêvant d’humains parfaits alors qu’il ne l’est pas lui-même. C’est un mélancolique incapable de jouir du monde avec ses défauts et qui croit pouvoir les réparer chez les autres. Il devrait mieux choisir ses relations et supporter leurs petits travers inévitables. Philinte est un vrai ami qui pointe ses contradictions, mais Alceste reste amoureux, car c’est plus fort que lui.
Les cinq actes de la pièce classique ne se déroulent pas à la cour du roi. Dans ce décor d’un intérieur très luxueux, le champagne coule à flot. Polyamours, alcools, cigarettes, cocaïne et reste de festin d’huitres animent ces soirées orgiaques et décadentes où l’on chante des sonnets amoureux en s’appuyant sur des tatouages envahissants et où l’on médit de ses plus proches amis dans de grands éclats de rire. On comprend que l’intransigeance d’Alceste entre en totale contradiction avec les personnes qu’il fréquente.
Avec beaucoup d’humour, de nombreuses surprises, dans un décor plein de ressorts et qui se métamorphose à mesure que se déroule le spectacle, on assiste à la déconvenue d’Alceste. Sans doute prend-il conscience que non seulement son rêve de franchise est totalement utopique, mais aussi que ses aspirations amoureuses le placent, pour une part au moins, du côté des personnes qu’il critique.
Le Misanthrope, de Molière
Avec : Alex Bergeron, Dany Boudreault, Francis Ducharme, Matthias Levèvre, Mélodie Lupien, Iannicko N’Doua, Alix Pascual, Evelyne Rompré, Dominick Rusram et Mounia Zahzam
Mise en scène : Florent Siaud
Décor : Romain Fabre
Costumes : Julie Charland
Du 16 janvier au 11 février 2024 au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal