Un brouhaha lointain se laisse à peine entendre lorsque la pièce démarre. Dans le décor énigmatique d’une sorte de jungle composée d’immenses boules vaporeuses de fourrures aux diverses tonalités de rouge, les trois autrices et interprètes du spectacle s’adressent au public par le discours, la danse et le chant.
S’adressent-elles vraiment aux spectateurs ou tentent-elles d’élaborer pour elles, ce qui se passe en elles, non seulement dans leurs esprits, mais au plus profond de leurs corps, et qui interagit avec les bizarreries du monde environnant tout aussi mystérieux?
Affaires intérieures s’attaque au défi consistant à dire ce qui, peut-être, ne peut pas s’exprimer par les mots. C’est pourquoi le talent des trois artistes est le bienvenu dans ce qu’elles peuvent apporter non seulement avec leurs dires, mais aussi à l’aide du chant, parfois a cappella, et de la danse.
Que se passe-t-il au sein de ce corps bouillonnant qui crée une frontière avec le monde extérieur? Ce corps qui nous constitue et devrait nous être connu et familier, mais qui nous est si étranger en réalité, qui se forme et se transforme à mesure que le temps passe et dont les autrices cherchent à nous faire prendre conscience.
Ainsi, le décor magnifique prend davantage de sens. Il ressemble tout à la fois à l’intérieur de nos organes qu’à ces grottes mystérieuses qu’explorent les spéléologues. Tout y est rouge sang. Les stalactites sont ici sphériques et vaporeux. On ne voit pas de stalagmites avec lesquels les stalactites pourraient constituer ce qu’on nomme un pilier, une sûre réalité sur laquelle s’appuyer pour comprendre ce qui se passe au cœur de ces trois femmes et qui rejoint la préoccupation de n’importe quel humain sur cette planète. Car il s’agit de creuser en soi et la pelle pour y parvenir n’a pas été inventée.
Le spectacle, très musical et dansé, ne se prive pas de quelques notes d’humour. Les chants et les danses sont beaux, variés et parfaitement interprétés.
Les trois protagonistes, même si elles partagent normalement les mêmes constituants corporels ou à peu près, sont très différentes dans leurs attitudes et leurs préoccupations. La douceur côtoie l’excitation voire la transe, les souvenirs de l’origine maternelle se mêlent aux désirs de maternité, et le monde extérieur est présent, tant dans son plus banal quotidien que dans l’incidence que l’univers inconnu peut exercer sur nous.
On cherchait autrefois les correspondances entre microcosme et macrocosme, entre ce qui se passe au plus profond de l’humain et de son âme et le mouvement universel des planètes. Affaires intérieures propose un peu la même énigme dans un spectacle audacieux et parfaitement interprété.
Affaires intérieures
De et avec : Sophie Cadieux, Mélanie Demers, Frannie Holder
Assistance à la mise en scène : Anne-Marie Jourdenais
Scénographie : Geneviève Lizotte
Musique : Frannie Holder
Costumes : Ariane Michaud
Lumières : Sonoyo Nishikawa
Production : ESPACE GO
Du 16 janvier au 11 février 2024 à l’Espace Go, à Montréal