Se moquant du prêt-à-penser et de la folie du développement personnel qui font fureur dans nos sociétés occidentales, L’iris blanc, le 40e album d’Astérix, est facilement l’un des meilleurs et des plus drôles des dernières années.
Lorsque s’ouvre L’iris blanc, le moral des soldats romains est à son plus bas, et les mutineries et les désertions sont devenues monnaie courante au sein des troupes. Afin de remédier à la situation, le médecin-chef des armées, un dénommé Vicévertus, propose à Jules César d’utiliser la méthode de pensée positive qu’il a lui-même développée afin de renouveler la motivation de ses troupes. L’empereur accepte, mais exige comme preuve de sa réussite que les légionnaires du camp de Babaorum soumettent enfin le village gaulois lui résistant depuis de nombreuses années.
Vicévertus effectue alors des visites quotidiennes chez les irréductibles Gaulois, où il prêche sa philosophie à qui veut bien l’entendre. Son influence s’étend rapidement, et dans l’espoir d’avoir un esprit sain dans un corps sain, la moitié du village s’adonne à l’exercice physique tandis que l’autre mange des graines et du poisson. Seul Astérix se méfie du baratin de cet homme qui parle beaucoup pour ne rien dire et de ses « enseignements », qui endorment la vigilance des siens et les rends plus vulnérables aux éventuels assauts des Romains, mais que peut faire le guerrier devant une perte d’esprit critique que même la potion magique ne saurait guérir?

Remplaçant Jean-Yves Ferri (qui a scénarisé les cinq albums précédents), Fabcaro livre une aventure d’Astérix qui saura combler les amateurs de longue date de la série comme les nouveaux lecteurs. L’iris blanc reprend sensiblement la formule du Devin ou de La zizanie, alors que c’est la venue d’un seul homme qui menacera les irréductibles Gaulois plutôt que les armées de César, et la dynamique habituelle du village se trouve profondément chamboulée par l’arrivée de cet étranger. Finies les querelles entre Ordralfabétix et Cétautomatix, et même un tour de chant d’Assurancetourix ne se termine plus en bataille générale.
Fabcaro reprend avec succès tous les éléments ayant fait le charme de la série, soit des noms de personnages rigolos (Granbienvousfas, Oranjajus ou le comédien Boxoffix), des jeux de mots à profusion (« un esprit sain dans un porcin », « soyez moins tressés », etc.) et quelques anachronismes, dans ce cas-ci le CVG, le char à grande vitesse, ou l’exposition d’une œuvre de Banskix à Lutèce. L’album foisonne de moments drôles et de répliques cocasses, comme lorsqu’Obélix déclare : « Qu’est-ce qui se passe? Tout ce que j’aime faire dans la vie est devenu ennuyeux! Il manquerait plus que j’apprenne que les menhirs, ça sert à rien ».

C’est déjà le sixième Astérix que Didier Conrad met en images, et après dix ans d’expérience, il reproduit maintenant avec beaucoup de respect et dans une fidélité étonnante le style graphique d’Uderzo. Les personnages aux gros nez et aux visages très expressifs sont identiques, et il reprend des gags visuels classiques, comme des Romains expulsés de leurs sandales par les coups de poing des Gaulois. Même le lettrage des phylactères est pareil. Il est amusant de voir que, pour créer le vaniteux personnage de Vicévertus, Conrad s’est inspiré à la fois du philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy ainsi que de l’ancien premier ministre de France Dominique de Villepin.
Astérix et sa bande ont fait vibrer des générations de lecteur petits et grands depuis les années 1960, et c’est un grand plaisir de constater que l’esprit de la série est toujours bien vivant dans L’iris blanc. Il s’agit d’un album très réussi, que les amateurs de bandes dessinées seront heureux de retrouver sous le sapin.
L’iris blanc, de Fabcaro et Didier Conrad. Publié aux éditions Albert René, 48 pages.