Quels que soient les mots que les États pétroliers acceptent au final de laisser passer dans le texte clôturant la COP28 —« sortie » des carburants fossiles ou « réduction » — ces États semblent être, en coulisses, alarmés par la difficulté croissante qu’ils éprouvent à vider ces mots de leur sens.
elon un message envoyé le 6 décembre par le secrétaire général de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) aux représentants des pays membres et obtenus par le quotidien The Guardian, le fait qu’un scénario de « sortie des carburants fossiles » soit toujours sur la table des négociations inquiète au plus haut point l’OPEP, au point d’inviter ses membres à « rejeter proactivement tout texte ou formule qui cible l’énergie, i.e. les carburants fossiles, plutôt que les émissions ».
L’OPEP craindrait que la COP28 ne devienne un « point tournant », selon ce message dont les agences de presse Bloomberg et Reuters ont confirmé l’authenticité le 8 décembre. « Il semble, lit-on dans la lettre, que les pressions injustifiées et disproportionnées contre les carburants fossiles n’atteignent un point tournant avec des conséquences irréversibles », ce qui « met à risque la prospérité de nos peuples et notre futur ».
Au dernier décompte, un peu plus de 100 pays soutenaient l’idée que le texte final de la COP28 en appelle à une « sortie ».
Il faut rappeler que ce n’est qu’en 2021 que les mots « carburants fossiles » ont été introduits pour la première fois dans le texte final d’une de ces rencontres annuelles des Nations unies sur le climat —chaque mot de ces textes doit faire l’objet d’un consensus des 196 pays. À l’ouverture de la COP28 le 30 novembre dernier, la conversation avait déjà atteint un autre seuil, soit la possibilité de devoir choisir entre « réduction » ou « sortie » (phase out) de ces « carburants fossiles ».
D’où l’allusion que fait la lettre aux « émissions » plutôt qu’aux carburants: en clair, il s’agit de la possibilité qu’au final, les pays s’entendent sur une réduction des « émissions » de CO2, mais pas une réduction de « l’exploitation » des fossiles. Ce tour de passe-passe serait accompli en promettant, par exemple, de développer des technologies qui, en « capturant » et en « séquestrant » le carbone dans l’air, compenseraient pour l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole ou de gaz. Ces technologies sont pour l’instant hypothétiques.
Offensive de l’OPEP
La lettre du 6 décembre est signée par le secrétaire général de l’OPEP, le Koweïtien Haitham al-Ghais, et a été envoyée aux 13 membres de l’OPEP, incluant l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Iraq, le Nigéria et les Émirats arabes unis —le pays organisateur de la COP28. Ces pays possèdent 80% des réserves mondiales de pétrole et ont produit environ 40% du pétrole mondial dans la dernière décennie. Le message a aussi été envoyé aux 10 principaux alliés de l’OPEP, appelés « OPEP + », qui incluent la Russie et le Mexique.
Des groupes environnementaux, mais aussi des élus comme la ministre française de l’Énergie, ont réagi avec colère, appelant le président de la COP28 —qui est aussi le président de la compagnie pétrolière nationale des Émirats arabes unis— à ne pas se laisser influencer.
La troisième version du brouillon du texte final de la COP28, publiée vendredi, contient encore plusieurs mots ou phrases entre parenthèses —ce qui veut dire qu’il n’y a pas encore d’accord à leur sujet. La phrase qui retient particulièrement l’attention —et inquiète l’OPEP— est donc celle sur la « sortie » des fossiles: elle figure dans la liste des passages « en discussion », avec cinq choix possibles. L’un d’eux est de carrément l’effacer (ce qui est l’usage lorsqu’un consensus s’avère impossible), et deux des choix associent le mot « sortie » (phase out) au mot anglais unabated, qui désigne les gaz à effet de serre qui n’ont pas été « capturés » (voir ce texte).
En termes clairs, une entente sur une « sortie » des carburants fossiles qui n’ont pas été « capturés » signifierait qu’on ne ciblerait que ces derniers dans les calculs, et qu’on laisserait le champ libre aux pays producteurs de continuer d’extraire du pétrole sans restrictions, en autant qu’ils s’engagent à en « capturer » une quantité équivalente avec ces hypothétiques technologies.