En temps normal, une sécheresse peut être directement attribuée à une canicule. Mais la déforestation peut-elle aussi y contribuer? C’est la question qui se pose en ce moment en Amazonie, où une portion du rio Negro a atteint son plus bas niveau depuis que des mesures sont prises, soit 120 ans.
C’est une année de canicule, comme en témoignent aussi les 153 dauphins morts à la fin de septembre dans le lac Tefé, à 500 kilomètres de là, lorsque les températures avaient atteint 39 degrés Celsius —sept de plus que la normale. Les régions du Nord et du Nord-Est ont connu, de juillet à septembre, les niveaux de précipitations les plus faibles en 40 ans. Le fait qu’on vive actuellement le début d’une année El Nino, où les températures moyennes sont traditionnellement plus chaudes, aggrave sans doute ces conditions.
Mais quel rapport peut-il y avoir avec la déforestation de l’Amazonie au cours des dernières décennies? Dans une entrevue au Scientific American en novembre, la climatologue brésilienne Luciana Gatti rappelle qu’il s’agit d’une forêt humide: par conséquent, plus elle diminue en taille et plus on diminue sa résistance aux sécheresses.
Compte tenu de l’immensité de la forêt (5,5 millions de km2), toute la question est de savoir à partir de quel seuil on peut vraiment sentir un tel changement. Au cours des dernières décennies, environ 20 % de la forêt a été coupée — largement pour laisser place à l’agriculture — et 40 % a été « dégradée » — ce qui veut dire qu’il y a toujours des arbres, mais qu’ils sont en moins bonne santé et plus vulnérables aux incendies et aux sécheresses.
Des chercheurs ont prétendu en 2020 que le point critique pour l’Amazonie serait dépassé lorsqu’on atteindrait entre 20 à 25 % de déforestation. D’autres placent la barre plus haut. Cette incertitude est une référence à ce qu’on appelle en sciences de la Terre le « point de bascule » (en anglais, tipping point), ce moment où un système passe d’un état à un autre —ce peut être le moment où les glaces de l’Arctique atteignent un stade de déclin irréversible, ou celui où un récif de corail est si dégradé qu’il n’y a plus de retour en arrière possible. Dans le cas de l’Amazonie, c’est le stade où la forêt passerait irrémédiablement de « l’état » de forêt à celui de savane : un écosystème plus sec, plutôt qu’une forêt humide.
En un sens, une année El Nino pourrait être une forme de test. En induisant des conditions climatiques plus graves, elle permet de se projeter de plusieurs années dans le futur, c’est-à-dire quand les conditions de cette année seront devenues la « nouvelle normale ». Et peut-être d’accélérer les préparatifs pour éviter le pire.