Est-ce que le fait de vivre pauvre pourrait endommager notre cerveau? Une récente étude québécoise s’est intéressée au lien entre la gravité de la maladie d’Alzheimer et les inégalités de revenus dans les pays occidentaux.
Les chercheurs voulaient savoir s‘il y avait un lien entre les indicateurs de pauvreté et le fonctionnement cognitif, en prenant de l’âge.
Leur conclusion est claire: « La pauvreté gruge le corps, la santé et le cerveau, et les gens ont alors plus de maladies et de démence. La mortalité à la naissance ou l’espérance de vie sont des évidences à revisiter », résume Yulina Legkaya (Bodryzlova), auteure principale de l’étude et étudiante à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
En consultant quatre bases de données de référence, les chercheurs ont retenu 18 études sur des patients qui présentaient des changements de type Alzheimer – sans démence toutefois. Ils ont décidé aussi de les lier à les indicateurs de politique sociale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Car le rôle des politiques sociales était aussi dans la mire des chercheurs. Ce qu’ils ont trouvé, c’est que la probabilité de développer l’Alzheimer « modéré » serait inversement associée au taux de pauvreté et à certaines dépenses publiques en matière de soins de santé.
Yulina Legkaya souligne ainsi que plus l’inégalité s’avère prononcée —« plus il y a de gens exclus du système de santé et qui sont démunis » — et plus la probabilité que la santé se détériore est grande.
« C’est souvent « internalisé » car les changements au cerveau sont multifactoriels. Ce qu’on a tout de même vu, c’est que chaque point de pourcentage de l’indice de GINI » —une mesure statistique du niveau d’inégalité d’une variable dans la population— « augmente le risque d’avoir plus de démence. Et la pauvreté diminue la capacité d’être en bonne santé et accentue les problèmes face au développement de la maladie », note la chercheuse.
Les choix politiques déterminent la répartition de facteurs de protection —l’éducation ou la qualité de la santé cardiovasculaire— contre le développement de la démence. Les politiques jouent donc un rôle dans la préservation de la santé cognitive des personnes âgées.
« Ma formation à l’École de santé publique a changé ma façon de voir la démence. Ce n’est pas juste médical. Le budget dont on dispose ou le régime politique affectent notre santé cognitive. »
Il reste que les politiques publiques sont souvent difficiles à évaluer. Les auteurs n’ont pas démontré que plus d’investissements permettraient de baisser le niveau de démence, une des limites de l’étude.
Mise à l’écart et santé
Une conférence récente de la Chaire RISS sur la réduction des inégalités sociales de santé allait dans une direction similaire: nous ne sommes pas tous égaux au Québec lorsqu’on parle de la santé globale ou de l’accès aux soins.
Il y a par exemple de nombreux préjugés négatifs à l’endroit de ceux qui reçoivent de l’aide sociale ou l’aide de dernier recours. « Certains groupes de citoyens sont jugés moins crédibles et moins légitimes lorsqu’ils sollicitent du soutien. Nous travaillons à leur redonner du pouvoir », explique la professeure au département de psychologie communautaire de l’UQAM, Janie Houle.
« C’est plus facile pour moi de parler de mes problèmes de santé mentale que du fait que je touche une prestation de dernier recours », confirme Pierre Cardinal, un « pair chercheur », c’est-à-dire un citoyen membre du Comité de gouvernance de la Chaire RISS.
Le projet de recherche Vers une société plus juste vise ainsi à diminuer ces préjugés et à proposer des améliorations aux politiques publiques, afin de réduire les inégalités sociales de santé.
« Nous travaillons au croisement des savoirs. Avec des scientifiques et, pour moitié, des personnes vivant des inégalités. Nous les accompagnons dans leur apprentissage de la littératie scientifique et nous apprenons de leurs réalités», explique la coordonnatrice scientifique de la Chaire RISS, Hélène Gaudreau.
Avec l’implication de divers organismes de défense des droits, tels que Parole d’exclues et Pour un Québec sans pauvreté, ces chercheurs et ces citoyens se rencontrent pour apprivoiser la méthode scientifique et la réalité multifacettes de la grande pauvreté.
Une initiative mobilisatrice pour les deux groupes. « Il y a une grande diversité d’opinions lorsqu’on aborde les enjeux de santé », relève la paire chercheuse et ancienne employée de la fonction publique fédérale, Julie Sanfaçon. « Je vis une situation de handicap. Participer aux travaux de la Chaire, cela me permet de m’assurer que les questions de recherche sont représentatives de ma réalité. La participation des pairs, c’est une plus-value. »
Ce n’est pas une démarche facile pour tous. « J’ai rencontré des difficultés pour comprendre le jargon scientifique. Cela survient dans un quotidien où l’on est beaucoup en mode de survie et avec une grande charge mentale », relève encore Pierre Cardinal.
La participation de ces citoyens d’ordinaire moins écoutés et vulnérables économiquement, s’avère indispensable à la pertinence des projets de recherche, selon Janie Houle. « Lorsqu’on élabore les politiques publiques, si on ne les écoute pas, on augmente encore les inégalités. »
Le groupe de recherche organise d’autres activités pour briser les préjugés et les barrières, par exemple avec des ateliers de « Livres vivants ». Ces rencontres entre le grand public et des personnes qui reçoivent des prestations de dernier recours permettent d’établir un dialogue et d’échanger des témoignages de vie. Dans l’espoir, en bout de ligne, d’aider à diminuer les préjugés à l’égard des plus démunis de nos concitoyens.