Le nombre record de plus de 97 000 personnes qui seront peut-être passées à la COP28 lorsqu’elle aura pris fin le 12 décembre, crée un malaise. Bien qu’il s’agisse d’un sommet réunissant tous les pays de la planète et nombre d’acteurs de la société civile, à partir de combien de gens y a-t-il trop de gens?
Une « COP » (Conférence des parties, les « parties » étant les quelque 200 pays de la planète) réunit traditionnellement des représentants des différents gouvernements, de la société civile (organismes environnementaux, de défense des droits des autochtones, des femmes, des minorités, etc.) et de l’industrie (carburants fossiles, énergies renouvelables, technologies vertes, etc.). Mais alors que ça représentait 38 457 inscrits à la COP26 de Glasgow, il y a deux ans, et 49 704 à la COP27 de Sharm el-Sheikh, en Égypte, l’an dernier, le total de Dubaï cette année fait sourciller.
Il faut noter que les chiffres — plus de 90 000, voire jusqu’à 100 000 — sont provisoires: ils représentent tous ceux qui ont demandé une accréditation, mais on ne saura que le 12 décembre combien sont vraiment venus. Qui plus est, il y a parmi eux un nombre élevé d’inscrits dits « en surplus » (en anglais, overflow). Selon le magazine Carbon Brief, qui se livre à cette analyse chaque année, il est inhabituel que ces « surplus » soient calculés dans les totaux, et à eux seuls, ils expliquent qu’on soit passé de 70 000 inscrits — le chiffre qui circulait la semaine dernière et qui représentait déjà un record — à 97 000 sur la liste finale.
De 1999 à 2006, le nombre d’inscrits avait oscillé entre 4 et 10 000. Il avait bondi à 27 300 à Copenhague en 2009, année qui avait suscité de grands espoirs d’un traité qui succéderait au Protocole de Kyoto. Espoirs qui furent déçus — il faudrait pour cela attendre Paris en 2015. Année où, pour la première fois, le record de Copenhague fut battu (30 400).
Contrairement à ce qu’évoquent certains critiques, le problème central n’en est pas seulement un de gaz à effet de serre. Ces gens ont beau être venus à Dubaï en avion, s’ils venaient tous par des vols commerciaux, cela représenterait, par exemple pour les Américains, 3 tonnes de CO2 par passager —soit un quart de ce qu’un Américain moyen produit en un an, selon le calculateur d’émissions utilisé par l’ONU.
Mais ils ne sont pas tous venus sur des vols commerciaux. Dans un article publié en octobre, huit chercheurs britanniques estimaient que 315 avions privés s’étaient rendus à la COP27 l’an dernier. Un avion privé génère beaucoup plus d’émissions de carbone par passager (de 5 à 14 fois plus, tout dépendant des estimations), puisque ces émissions sont réparties dans un nombre beaucoup moins élevé de passagers.
Mais le problème central est plutôt le nombre optimal de délégués dont un pays a vraiment besoin. Selon Carbon Brief, qui s’est attelé le 1er décembre à cette analyse, la plus grosse délégation est celle du du pays hôte, les Émirats arabes unis (4409 inscrits) suivie du Brésil (3081), de la Chine et du Nigéria (1411 chacun). La France en a 800, les États-Unis 770 et le Canada, 742.
Les gens inscrits comme représentants d’un pays forment le plus gros bloc (51 695) suivis de ceux d’organisations non gouvernementales (14 338), « d’organisations observatrices » qui sont notamment des agences des Nations unies (4754), et de médias (3972).
Ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que parmi les délégations d’un pays, se sont souvent glissés ces dernières années d’autres représentants de l’industrie et des organisations non gouvernementales. La présence d’un nombre élevé de lobbyistes des carburants fossiles est d’ailleurs une critique récurrente depuis plusieurs années. Or, bien que la liste des inscrits permette de savoir combien de gens ont été officiellement envoyés par telle ou telle compagnie, elle ne permet pas de savoir combien, en plus, sont comptabilisés parmi les délégations nationales.
Parce qu’il est question d’argent, beaucoup de groupes veulent avoir leur mot à dire, et plusieurs discussions cette année tournent autour de l’argent: le fonds vert pour le climat, le nouveau fonds sur les pertes et dommages, et l’ambition de rehausser les cibles de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030.
Mais il se trouve des experts qui ont déjà tenté de calculer ce que serait la COP « optimale ». Dans un rapport produit en 2021 par un organisme européen (European Capacity Building Initiative) dédié précisément à améliorer l’efficacité des pourparlers sur le climat, on suggérait qu’une COP de 20 000 délégués était déjà trop grosse: la recommandation était de revenir à l’époque des COP de 5000 personnes, qui étaient vouées essentiellement au travail technique de base — celui qui se déroule dans les coulisses et dont on entend très peu parler, mais qui est indispensable pour assurer la mise en oeuvre des ententes internationales.